mercredi 4 mai 2011

Au bout du bout du Tessin...

Inutile de rappeler à mon cher lectorat que la Suisse est traversée par une ligne de partage brassicole : le tiers ouest, francophone est reparti de presque zéro en matière de bière il y a une grosse décennie, et donc plutôt porté sur les fermentations hautes plus faciles à produire en micro-brasserie.
Les deux-tiers est, germanophones, ayant gardé un tissu de brasseries régionales, mais restent pour l'essentiel incapable de sortir du carcan de l'orthodoxie germanique... même les micros-brasseries y produisent pratiquement exclusivement des lagers blondes, parce que "c'est ce que les clients veulent"...

Mais c'est oublier - comme toujours - le Tessin.

Jusqu'à il y a 18 mois, le Tessin restait largement annexé à la Suisse alémanique, avec un peu de lager alémanique dans un pays de vin... il y avait certes l'Officina della Birra à Bioggio qui faisait un peu autre chose que l'orthodoxie germanique, mais l'influence de l'effervescence brassicole italienne restait très limitée... Et ce n'était pas une Birra Gottardo produite à Einsiedeln qui allait tellement changer la donne...

Et puis la Birraria de Mendrisio a évolué en une Ticino Brewing Company, avec l'arrivée de Lorenzo "Marcos" Bottoni, qui brassait jusque-là du côté d'Imperia (pour paraphraser: "Ma femme a trouvé du travail en Suisse, et j'ai suivi... La Suisse était vraiment le dernier endroit au monde où je voulais venir travailler, mais finalement, c'est pas mal... Quand tu donnes des ordres, les choses se font, et l'administration côté fiscal nous complique beaucoup moins la vie qu'en Italie..."), et les choses ont commencé à bouger...
Littéralement collés à la frontière italienne à la sortie de Stabio à l'extrémité sud du Tessin (quand on voit que BFM et Trois Dames sont aussi à quelques km d'une frontière, on se dit qu'il doit y avoir quelque chose...), Lorenzo et son compère tessinois Nicola Beltraminelli, tout en poursuivant la production de leurs gammes respectives (Birra San Martino et Birra Nuda), ont lancé la gamme Bad Attitude Craft Beer, mettant en exergue l'immortelle citation de Mae West : "When I'm good, I'm very good. But when I'm bad, I'm better."

A l'origine, les Bad Attitude devaient être vendues en boîte alu de 33 cl uniquement, mais sont passées courant 2010 à un modèle de bouteille trapu et léger rappelant les années 70. A l'intérieur, des bières au caractère marqué, puissant, souvent assorti d'un houblonnage assez musclé.
L'influence nord-américaine est assez évidente, mais à l'italienne: la Hobo, par exemple, contient 29% de seigle et 10% de blé dans le mélange de malts, ce qui n'est pas exactement orthodoxe pour une India Pale Ale mais fonctionne très bien au final.

J'ai reçu récemment de la brasserie des échantillons de deux de leurs dernières productions: la Kurt ("pale ale in cans") et la TwoPenny (porter); emballés dans un superbe carton griffé Bad Attitude, avec rien moins que du malt comme rembourrage de protection (qui fait en plus un très joli arrière-plan pour photographier les bouteilles, petits malins...)

Alors parlons-en...

La Kurt est bien sûr un hommage à Kurt Cobain (y'a bien des Ecossais qui font de la bière punk, alors pourquoi pas une bière grunge, hein?). Elle est destinée à servir d'entrée de gamme, d'initiation à une bière plus riche en goût pour le buveur de blonde de base.
Et force est de constater que c'est assez réussi. Blonde tirant sur le bronze, légèrement trouble, avec un bouquet houblonné et fruité (notes de litchi et de raisin blanc), et un palais sec, fruité et aromatique, se terminant sur une amertume nerveuse et aromatique.
Avec 4,32 % d'alcool et 31 IBU (unités d'amertume), c'est une bière de soif plaisante et blindée de caractère, qui passera comme une fleur par temps chaud, et n'est en fait pas sans rappeler la Trashy Blonde de chez BrewDog (et c'est un compliment !)
L'échantillon dégusté présentait une très légère touche métallique, probablement liée à une petite oxydation (NON, c'est pas la boîte !), mais c'est très peu de chose, même les brasseries industrielles avec leurs processus soi-disant parfaitement contrôlés font pas mieux, et de loin !

La Two Penny, de son côté, est un autre bestiau... 8,15% d'alcool, 76,4 IBU, c'est du massif... Brune très foncée, mousse crème, bouquet rôti riche (café, mélasse, et une touche de vanille), étonnamment sèche au palais, toujours avec de snotes de café et de mélasse noire qui amènent à une amertume finale puissante et longue en bouche.
Only mad dogs and Englishmen would drink this in the midday sun... mais c'est une fichue merveille pour de la bière suisse en général, et tessinoise en particulier !

Mais il y a un petit problème... en fait un assez gros: l'essentiel des Bad Attitude est exporté vers l'Italie, et il est difficile de se les procurer au Tessin, et simplement impossible dans le reste de la Suisse. La boutique en ligne du site n'est pas encore opérationnelle, et la seule manière de s'en procurer est de commander quelques caisses par e-mail (adresse ici, et dites bien à Alessandra que vous venez de ma part...)

Bref, ça serait pas forcément un mal que quelque caviste ou distributeur romand s'essaie à rattraper une partie de la production (et éventuellement de l'excellente Seson de Birra Nuda, aussi produite à Stabio, une pure merveille...) avant qu'elle passe la frontière, parce qu'on a là des bières de très bon niveau...

Salute !