jeudi 1 décembre 2011

Sur les frontières

C'est pas pour dire, mais ça commence à se voir un peu, cette concentration d'excellentes brasseries implantées à proximité, au plus quelques kilomètres de la frontière suisse...
Côté suisse de la chaîne du Jura, il y a la Brasserie des Franches-Montagnes et la Brasserie Trois Dames
Au bout du Tessin, du côté de Varese, il y a Ticino Brewing Company, et juste de l'autre côté de la frontière, l'excellent Bi-Du
Sans oublier Ruppaner à Constance, qui, bien que d'une orthodoxie toute germanique, produisent des lagers d’une tenue supérieure à ce que produisent les brasseries suisses de ce côté-là du pays…
Et puis ?
Ben y'en a une de plus... Quelle question!

Du côté de Genève, côté français il y a la Brasserie du Mont Salève, ouverte à l’été 2010 par Michaël Novo, jeune chimiste passé au brassage après quelques années en amateur, a de quoi réveiller les palais du bout du Léman, avec une gamme de bières variée, faisant un excellent usage des variétés de houblons disponibles à l'heure actuelle.

Le lieu, à Neydens, à la sortie de St. Julien-en-Genevois, dominé par le Salève et non loin du Macumba, boîte de nuit à la réputation passablement beauf, est un peu improbable : c’est au sous-sol - ou plutôt au rez inférieur ? - d'une salle de réunion des Témoins de Jéhovah. Le bâtiment est discret, et quand on arrive par le sud, on peut aisément passer devant sans voir l’enseigne de la brasserie…


L'installation de brassage est de petite taille, 400 litres par brassin, avec pas mal de matériel d'occasion, de récupération et un peu de bricolage maison. Un superbe moulin à céréales, des cuves d'empâtage, de cuisson, de fermentation et de garde, une chambre froide, une chambre chaude pour la refermentation en bouteille, et un petit bar près de l'entrée, le tout est très compact, et tient sur, quoi ?... une soixantaine de mètres carrés ?

J’y suis passé il y a quelques jours, ayant goûté une des ses bières en juillet... et c’est un petit peu une révélation, parce que, franchement dit je ne m'attendais pas vraiment à ce que le niveau soit aussi uniformément bon !

La Blonde tient déjà un peu de la mise en garde : sèche, nerveuse, avec une jolie amertume finale, un eu de corps, un fruité plaisant... Une bière de soif, certes, mais qui ne perd pas de temps à s’excuser d’être là.

La Blanche affiche une amertume assez modérée, 70% de blé cru, relevés d'une puissante note d'agrumes apportée par du Citra, spectaculaire variété de houblon nord-américaine. Aromatique et rafraîchissante à souhait, nettement en rupture avec le sempiternel coriandre-curaçaõ des blanches belges.
En aparté, il est d'ailleurs intéressant de relever que, sur un principe analogue de blanche au houblonnage très aromatique - ou de wheat ale façon anglaise - celle-ci donne au nez et en bouche une impression sensiblement différente de la VI Wheat de Jandrain Jandrenouille ou la Larme Blanche de la Brasserie le Paradis... C'est clairement un domaine où il y a encore de la marge pour de nouvelles expérimentations et de nouvelles flaveurs !

Toute la gamme n'étant pas forcément disponible en tout temps – c'est de l'artisanat – donc impasse sur la Special Bitter dont j’ai entendu le plus grand bien... Ça sera pour une autre fois !

Suivent la Stout au grillé bien tranché, et la Tourbée, rousse franchement fumée, loin du cliché des timides bières-au-malt-à-ouiski françaises, au potentiel gastronomique plus qu'évident (fromages, saumon mariné ou poché, cochonaille...)
Toutes deux sont très bien construites, nerveuses et sèches, bien que le houblon y soit en retrait. Comme quoi, sur ce terrain-là aussi, ça tient la route !
Et puis on passe aux choses sérieuses avec la Mademoiselle Aramis IPA, 6% d'alcool, houblonnée exclusivement à l'Aramis, nouvelle variété alsacienne. Le résultat est d'une élégance toute britannique, avec des notes poivrées et d'écorce d'oranges relevant une amertume persistante et légèrement terreuse.
L'India Pale Ale « normale » est un petit peu plus alcoolisée (6,7%), mais plus ronde, avec des accents un petit peu nord-américains de fruits exotiques (Amarillo) agrémentant un côté floral et poivré (East Kent Goldings et Strisselspalt)
Toujours dans les IPA, l'Amiral Benson, mise en bouteille une semaine plus tôt, donc encore un peu jeune quand je l'ai dégustée, déploie au nez et au palais le fruité entre lychee et raisin blanc du Nelson Sauvin, variété de houblon néo-zélandaise tout à fait spectaculaire.
Mais attendez, c'est pas fini !

La Bière de Noël est un autre délicieux OVNI : rousse relativement sèche à 6%, elle fait l'impasse sur les épices « de Noooohëllll », et s'appuie uniquement sur le Simcoe, houblon étasunien lui donnant des notes de cerise, fruits rouges et bourgeons de sapin et un petit côté terreux pour ancrer le tout dans la base de malt. Courageuse rupture par rapport au cliché de la bière de Noël. Et réussie, de surcroît.

Le Barley Wine est encore autre chose... 10,5%, c'est du solide... mais aucune surépaisseur, pas de côté lourd, sirupeux ou collant, c'est très bien atténué. Pas non plus d'alcool évident au nez ou sur le palais, l'alerte sonne uniquement au passage des amygdales, par une joyeuse bouffée de chaleur, sans agresser les sens... La base maltée est fruitée, évoquant peu les raisins secs, et équilibrée de manière harmonieuse par une bonne grosse baffe de houblons comme je les aime...
En bonus hors commerce, Michaël m'avait auparavant fait goûter le corollaire de ce Barley Wine : une Petite Bière à 3% et des poussières, issue, conformément à la tradition, du rinçage des drêches d'icelui. Donc sèche et relativement mince... à ceci près que les houblons appelés massivement à la rescousse – dont du Sorachi Ace, variété japonaise spectaculaire donnant dans le fruit exotique et l'ananas, voire la noix de coco – lui donnent une présence tout à fait bluffante en bouche... et une finale longuissime, très amère et aromatique. (180 IBU théoriques, pour ceux qui comprennent ce genre de jargon... pour les autres: dix fois la charge en amertume d'une Kro ou d'une Cardinal, et bien plus encore en termes aromatiques)
Bref, y'a de quoi faire, et une très belle maîtrise, dans la construction, au-delà de la seule cavalerie houblonnée. L'esprit inventif de Michaël étant ce qu'il est, avec un plaisir évident à brasser avant tout des bière comme il les aime, sans trop s'empoisonner l'existence à se dire que le public ne va pas suivre, j'ai une vague impression qu'il n'a pas fini de chahuter les papilles gustatives dans la région genevoise.

A suivre !

Brasserie du Mont Salève, 151 Rue du Jura, F-74160 Neydens
Tél. : +33 4 50 74 96 61
Ouvert du mercredi au vendredi de 16 à 19h et le samedi de 10 à 12h et de 14 à 18h.

Transports publics : certains bus de la ligne D, partant de Bel-Air, et raccordé aux lignes de tram venant de la gare de Cornavin à Bachet-de-Pesay et au P+R Etoile, vont jusqu’à Vitam’Parc, à quelques minutes à pied de la brasserie… mais uniquement les mercredis, samedis et dimanches. Donc vérifiez sur www.tpg.ch et/ou www.cff.ch avant de vous mettre en route !