mardi 31 janvier 2012

L'Aveu.

Carlsberg Suisse, enfin, Feldschlösschen, viennent de laisser passer un aveu majeur, dont je me demande s'ils ont bien saisi la portée...

Dans un communiqué de presse de ce matin qui annonce une hausse de leurs prix de 4,4% en moyenne,  communiqué repris par une dépêche ATS... ah non, attendez, il se pourrait que ça soit l'inverse... le com' de presse dit "31.01.2012 09:00", et la dépêche "31. janvier 2012 - 08:09"...

Enfin, bref, dans ce communiqué de presse, les communicateurs de Feldschlösschen nous gratifient de la langue de bois habituelle, les machins ronflants d'usage :
"Feldschlösschen mise résolument sur le fait de produire ses bières en Suisse. A côté des marques nationales Feldschlösschen et Cardinal et des marques régionales Hürlimann, Valaisanne, Gurten et Warteck, les bières de marque Carlsberg et Tuborg destinées au marché suisse sont également produites en Suisse."
Mais là, ces grandes déclarations creuses d'attachement à la production en Suisse (qui sont peut-être sincères au niveau de Carlsberg Suisse, mais on a vu quelle importance le groupe Carlsberg accorde à la production en Suisse, avec la fermeture de Cardinal suite au transfert de la production des bières sans alcool chez Kronenbourg...) servent à justifier autre chose: 
"Feldschlösschen a significativement augmenté ses investissements dans le marché de la bière ces dernières années et poursuivra cette politique dans les prochaines années afin de renforcer ses propres bières de marque brassées en Suisse. La brasserie leader en Suisse entend ainsi réagir face à la part de marché croissante des bières importées en Suisse, dont l'augmentation a été significative au cours des dix dernières années."
Ahah... une augmentation des investissement dans les marques, c'est-à-dire le marketing, la publicité...
«En tant que leader sur le marché, il est de notre devoir de renforcer nos propres marques avec des promotions attractives soutenues par des activités publicitaires à grande échelle et en même-temps de poursuivre le développement du segment bière par des innovations»,
Ah, ok, c'est "le devoir" du leader du marché de claquer plein de pognon dans des campagnes massives de promotion, et de reporter le coût sur le consommateur ?

Oui, mais un devoir vis-à-vis de qui ?
Des consommateurs ? Oui oui, à d'autres...
De leurs employés ? Mouais, à la rigueur...
Non, clairement, ce devoir, c'est un devoir de rentabilité vis-à-vis des actionnaires, en fait du groupe Carlsberg. Dans un marché saturé, qui se stabilise au mieux ou baisse chaque année, la seule manière d'augmenter son chiffre d'affaires - donc de donner l'illusion qu'on est en croissance - est d'augmenter les prix.

Une augmentation qui est sans grand risque quand le marché est intégré verticalement par des contrats-brasseurs qui tiennent fermement la distribution, mais que généralement, les grosses brasseries justifient par des hausses des coûts des matières premières, les coûts des transports, ce genre de chose...(ah ben oui, ils le disent, mais en justification secondaire, et ils osent pas trop insister dessus, parce qu'ils ont déjà utilisé l'excuse dans un passé récent: "En outre, les coûts croissants du transport ne peuvent être compensés par la seule augmentation de l'efficience.")

Là, c'est une première, la hausse répercutés sur le consommateur est clairement annoncée comme causée par le besoin de gaver encore plus le consommateur de publicités sur tous supports et de promotions casse-pieds dans les supermarchés... Un cycle promotion-consommation-promotion... qui se perpétue de lui-même sans plus se préoccuper de la production. 

Bel aveu, noir sur blanc, de ce que nous sommes un certain nombre à avancer depuis un bout de temps: Feldschlösschen ne sont plus des brasseurs. Leur activité principale n'est plus la production de bière, mais bien la commercialisation de boissons.

Certes, le monstre brassicole nous parle de "poursuivre le développement du segment bière par des innovations", mais il faut bien comprendre ce qu'ils entendent par ce mot.
Cela fait bien quinze ans qu'il en est question, et le bilan de Feldschlösschen en termes d'"innovation" sur la même période est parlant: Cardinal Eve, ses multiples déclinaisons (Litchi, Grapefruit, Fruit de la Passion, plus quelques saisonnières comme Pêche, Raisin Blanc, etc.) et sa soeur jumelle Feldschlösschen Fresca (versions Yuzu-Lemon et Grapefruit-Cranberry)... Feldschlösschen Premium, Feldschlösschen Amber, Feldschlösschen Bügel, suivant toutes trois servilement les tendances lancées par d'autres brasseries sur le marché suisse alémanique... les versions à 2,4% de Cardinal et Feldschlösschen... mais aussi l'Urtrunk, qui n'existe plus en bouteille.

Sans oublier les nombreux flops, marques lancées à grand renfort de campagnes promotionnelles et retirées après quelques années, parfois quelques mois: Cardinal Best Lager (destinée à concurrencer Heineken, disait-on à l'époque de son lancement), Cardinal Millenium (mélange de bière et de vin mousseux au splendide bouquet de gruyère industriel), Cardinal Monsoon (aromatisée à la mangue y compris le côté poussièreux-renfermé), Feldschlösschen Castello Sélection Amber (qui devait inaugurer une série de bières destinées à la gastronomie inspirée des Semper Ardens de Carlsberg Danemark... les autres ne sont jamais sorties), Feldschlösschen Fraîche (passée tellement vite que je l'ai manquée...), Feldschlössen Gold (pauvre en hydrates de carbone, 8 Plato poussés à 4,3% d'alcool, remarquablement similaire au goût à une bière sans alcool, sauf qu'il y avait de l'alcool), Feldschlösschen Grand Cru (autre tentative en direction de la gastronomie, pas plus fructueuse que la Castello), Feldschlösschen Ice (destinée à concurrencer la Cardinal Draft), Feldschlösschen Quinto (fameuse "bière birchermüesli" aux 5 céréales), etc.

Donc "innovation" doit apparemment signifier, en langue de bois brassicole, quelque chose de l'ordre de "faire diversion en lançant régulièrement des trucs"...

Par contre, investir dans la fidélisation à long terme d'une clientèle en se concentrant sur le caractère et le goût des produits, sur des processus sans raccourcis, sans bricolages honteux, ne semble pas à l'ordre du jour...Ah oui, mais attendez, ça signifierait rendre le pouvoir aux brasseurs, vous n'y pensez pas sérieusement ?

Bref, est-ce que cette fois-ci, ça ne va pas un petit peu finir par se voir ?

Santé !

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