dimanche 28 février 2010

Rimini : Birra dell'Anno

Rimini ? En février ?

Oui, Rimini en février. Birra dell'Anno, le concours national ouvert aux brasseries artisanales italiennes, organisé par Unionbirrai a été déplacé de l'automne à février, afin de coïncider avec Pianeta Birra, le grand salon italien de la bière.
Ce qui a signifié un déplacement du concours vers Rimini. Et accessoirement qu'il n'y a pas eu d'édition 2009.

Les changements dans l'organisation ont aussi été importants, tant au niveau structurel qu'au niveau des personnes - avec une certaine déperdition d'expérience pratique - et non sans petits hoquets qui seront certainement réglés pour les prochaines éditions.

308 bières en concours, issues de 58 brasseries artisanales italiennes, non pasteurisées, et en bouteille.

15 membres du jury (à l'origine 16 étaient prévus) répartis en deux tables, elles-mêmes divisées en deux. Parmi eux, des pointures telles que Garrett Oliver (Brooklyn Brewery, USA), Hans-Peter Drexler (Schneider Weisse, D), Yvan de Baets (Br. de la Senne, B), Randy Mosher (AHA, USA), Carl Kins (Zythos/EBCU, B) et votre serviteur...

Le processus implique l'évaluation à l'aveugle de chaque catégorie dans son entier par une des deux tables à l'aide d'un formulaire assez complet dont la partie gauche est remise au brasseur, et la partie droite, chiffrée, reste entre les mains des organisateurs.
Dans un deuxième temps, une finale regroupant les 10 meilleures de chaque catégorie est jugée par l'autre table, qui détermine quelles sont les 5 meilleures, et dans quel ordre, ceci par discussion uniquement, ce qui peut prendre beaucoup de temps pour des catégories très larges comme les bières aux épices ou les bières aux fruits.

La catégorisation des bières est loin des typologies surdéveloppées à l'américaine, et permet de faire la place à certains objets brassicoles non identifiés qui n'entreraient pas dans une typologie trop rigide. Les quelques juges nord-américains ont cependant eu un peu de peine à s'y adapter.

On a aussi pu assister à quelques retentissantes collisions entre visions britanniques, allemandes et nord-américaines, par exemple sur les niveaux acceptables de diacétyle dans telle ou telle bière, ou pour les  bières aux fruits, si l'on devait juger la présence forte de fruits ou plutôt des bières qui fonctionnent bien dans l'absolu avec un fruit intégré dans l'ensemble.

L'un dans l'autre, sur deux jours, nous avons passé 18 heures sur le métier...
Deux journées, de 10 heures du mat' à 8 heures le soir, avec une heure de pause de midi. Chaque juge n'ayant certes pas dégusté les 308 bières, mais quelques chose de l'ordre de 110, qui correspondent à un volume effectif ingéré de l'ordre de 6 litres au total (donc dans les 3 litres par jour). Non, le problème à gérer, bien plus que l'alcool, c'est la fatigue du palais et la difficulté à maintenir la concentration au niveau nécessaire.

Comme je le faisais remarquer à un des jeunes membres d'Unionbirrai chargés du service qui me demandais avec un sourire en coin si ce n'était pas trop dur comme boulot, oui, c'est assez trapu comme travail, et bien plus dur sur la distance qu'il n'y paraît de l'extérieur... ce à quoi il m'a répondu "...comme un acteur porno ?" Ahem, oui, chacun ses analogies, mais y'a un peu de ça...

Bref, les résultats, montrant une belle variété de brasseries primées, entre les valeurs sûres (Baladin, Birrificio Italiano, Birrificio Lambrate, Bi-Du et Birra del Borgo y sont) et les étoiles montantes (comme Pausa Cafè - un projet de réinsertion de prisonniers, soit dit en passant - ou, en particulier del Ducato, pour qui cette édition est une consécration retentissante), ont été proclamés le dimanche 21 février à Pianeta Birra, il y a pile une semaine - oui, j'ai un peu de retard, pour changer....
Ceci devant une jolie petite foule, les brasseries, les sponsors, et les membres du jury.

Les voici :

Fermentation basse jusqu'à 14° Plato
1) Levante (Statale Nove)
2) Philippe (Renazzese)
3) Omnia (Babb)
4) Via Emilia (Ducato)
5) Durgnes (Birra di Meni) 
Fermentation basse à plus de 14° Plato
1) Pirinat (Birra di Meni)
2) Volpe (Mosto Dolce)
3) Porpora (Lambrate)
4) Bibock (Birrificio Italiano)
5) Amber Shock (Birrificio Italiano)
Fermentation basse jusqu'à 12° Plato
1) Adi (Baüscia)
2) Blonde (Vecchia Orsa)
3) Miloud (Lariano)
4) Perlanera (Trunasse)
5) Terrarossa (B94)
Fermentation haute entre 12° Plato et 16° Plato
1) Terzo Miglio (Rurale)
2) 33 Ambrata (Birra del Borgo)
3) Ligera (Lambrate)
4) Skizoid (Toccalmatto)
5) Mervisia (Civale) 
Fermentation haute à plus de 16° Plato
1) Surfing Hop (Toccalmatto)
2) Reale Extra (Birra del Borgo)
3) Re Ale (Birra del Borgo)
4) Confine (BI-DU)
5) Stout (Vecchia Orsa)
Bières à haute densité - 20° Plato et plus
1) Xyauyù (Baladin)
2) Verdi Imperial Stout (Ducato)
3) Toccadibò (Barley)
4) Imperial (Maltus Faber)
5) Noel (Baladin) 
Bières aux épices
1) Zingibeer (Doppio Malto)
2) Sally Brown Baracco (Ducato)
3) Christmas Cru (Almond ‘22)
4) Grand Cru (Almond ‘22)
5) San Genesio (Lariano)
Bières contenant un apport de 20% au moins de céréales autres que l'orge
1) 100% Farro (Petrognola)
2) Bianca Piperita (Opperbacco)
3) Sally Brown (Ducato)
4) Nera (La Petrognola)
5) Bianca (Maltus Faber) 
Bières à la châtaigne
1) Castegna (Valscura)
2) Falt-Truna (Corte di Campiglia)
3) Beltaine alle Castagne (Beltaine)
4) Caravina (Lariano)
5) Palanfrina (Troll)
Bières aux fruits
1) Filo Forte Oro (Pasturana)
2) Martina (Pausa Cafè)
3) Mama Kriek (Baladin)
4) Luna Rossa (Ducato)
5) Jadis (Toccalmatto) 
Bières vieillies dans du bois
1) Black Jack Verdi Imperial Stout (Ducato)
2) P.I.L.S. (Pausa Cafè)
3) Sparrow Pit (Birrificio Italiano)
4) Super Sayan (BI-DU)
5) Italian Strong Ale (Toccalmatto)

vendredi 26 février 2010

La petite sirène de Copenhague a bien grandi...

.. même qu'elle boit des bières avec une copine !

Je viens de recevoir une image de l'affiche de l'Ølfestival København 2010, organisé par Danske Ølenthusiaster du 6 au 8 mai prochain à Copenhague...


Rien à dire, ça en jette ! (et tant pis pour Andersen...)



samedi 20 février 2010

Ingrédients et taux de silice

La fameuse étude sur la silice dans la bière...
La chose a été reprise de manière dispersée par des médias francophones, mais de manière généralement incomplète ou erronée. Mais bon, il ne faut pas trop en attendre du journaliste francophone lambda.
Essayons donc d'y voir un peu plus clair.

En substance, depuis quelques années, dans les études sur la fréquence des cas d'ostéoporose (qui concerne donc principalement les femmes après la ménopause, bien qu'une certaine proportion d'hommes soit aussi touchés avec l'âge), une indication d'une possible influence positive de la consommation de bière à titre préventif. Donc diverses équipes de chercheurs creusent légitimement le sujet.
Deux pistes principales - qui ne s'excluent par ailleurs pas - ont été évoquées jusqu'ici pour expliquer ce possible effet positif de la bière : les phyto-œstrogènes, et la silice.

Les phyto-œstrogènes, présents dans le houblon (il n'y en n'a donc pas dans le vin, ajouta-t-il perfidement...), mais qui ne se retrouvent que sous forme de traces dans la bière (apparemment à l'exception des bières houblonnées à cru, mais une étude à ce sujet reste à faire), sont des molécules analogues aux œstrogènes - hormones féminines - qui auraient un effet palliatif à la décalcification découlant de la baisse de la production d'œstrogènes par l'organisme à la ménopause.
L'effet positif de ce côté-là serait donc limité aux femmes. (Désolé, les gars !)

La silice, par contre, est un minéral. En très gros, c'est du sable sous une forme plus fine. Si ce n'est que dans la bière, elle serait présente sous une forme assimilable pour l'organisme, donc a priori de nature à avoir un effet réel sur l'ossature des patients. Et des hommes comme des femmes, apparemment.
(Outre son rôle dans la structure des os, des études ont évoqué par le passé un effet sur la régulation du taux d'aluminium dans l'organisme, ce dernier étant considéré comme un facteur de risque de la maladie d'Alzheimer. Bonne nouvelle pour ceux qui boivent leur "verte" à même la cannette alu.
La silice est aussi réputé avoir un effet positif sur la chute des cheveux, mais à titre purement perso, je doute un peu, voyez...)

Le grand mérite de cette étude de Troy R. Casey et Charles W Bamforth (Université de Californie, Davis) parue dans le numéro de février du Journal of the Science of Food and Agriculture - dont on trouvera un bon résumé en anglais ici - est d'avoir pris en compte la bière dans toute sa diversité, et non juste la lager blonde de masse, pour tenter de déterminer quels ingrédients - ou processus - amenaient le plus de silice dans le produit fini. (M'est avis que ces deux-là doivent être amateurs de bonnes mousses à la sortie du labo.)
Du point de vue méthodologique, outre la recherche de la silice dans les matières premières de brassage, une centaine de bières commerciales ont été analysées dans le cadre de l'étude pour confirmer que les différences de taux de silice dans les ingrédients se répercutent dans la bière.

Leurs conclusions sont en substance :

- que les bières examinées présentaient entre 6,4 et 56.5 mg/l de silice (pour mémoire, les valeurs citées pour le vin sont de 10 à 20 mg/l, et on en boit généralement des volumes nettement plus faibles, vu son taux d'alcool double de celui des bières courantes)

- que l'enveloppe des grains de malt d'orge contient de la silice. Seule une petite partie de cette silice est dissoute dans le moût lors du brassage, mais c'est la source principale dans la bière.

- que les malts de blé et les autres céréales ou sources d'amidon (blé cru, riz, maïs etc.) qui n'ont pas d'enveloppe ou qui en sont débarrassés avant le brassage n'apportent pas de silice et font donc baisser le taux de celle-ci dans le produit fini.
On peut au passage en tirer la même conclusion pour les sucres de brassage.
A relever que le millet et le sorgho, présents dans certaines bières sans gluten et pas mal de bières africaines, modernes ou ancestrales, sont, eux, connus comme sources de silice.


- que plus un malt d'orge est foncé, moins la silice qu'il contient semble être extractible. Donc que les malts foncés influent négativement sur le taux de silice, mais dans une proportions moindre que le blé, le riz, le maïs etc.

- que les échantillons de houblon testés étaient plus riches encore en silice que les enveloppes de grains. Mais que vu les quantités très faibles en proportion de houblon entrant dans la bière, leur contribution au final reste assez faible, bien que clairement positive.
L'étude ne semble par contre pas avoir examiné les différences liées aux houblonnages en milieu d'ébullition, en fin d'ébullition ou à cru (dry hopping) en termes d'extraction de la silice.

Bref, que les bières les plus riches en silice sont celles qui ne contiennent que des malts d'orge, à l'exclusion d'autres malts sans enveloppe ou d'autres sources d'amidon ou de sucres,. Et de préférence des malts d'orge de couleur claire. Un bon houblonnage par-dessus ne gâte rien.

Et apparemment, si l'on pousse le raisonnement, plus la densité en solides issus du malt d'orge est importante, plus il y aurait de silice, donc les bières plus fortes  tant qu'elles seraient naturellement plus riches en silice ...tant qu'elles ne sont pas poussées - par exemple - au glucose!

Bon, si le lien entre les matières premières et le taux de silice dans la bière finie est établi par cette étude, le lien absolu entre la consommation de bière riche en silice et la prévention de l'ostéoporose, comme toujours lors de l'application réelle de découvertes en laboratoire, demandera probablement encore quelques études sur de larges échantillons de patientes et de patients sur de relativement longues périodes pour pouvoir être vraiment établi.
Disons qu'il s'agit d'un facteur de non-risque, à prendre en compte dans un paysage complexe...

Voilà... Messieurs, et surtout Mesdames, vous savez ce qu'il vous reste à déguster.
Et comme toujours, point trop n'en faut...

mardi 16 février 2010

BrewDog contre Schorschbräu : l'escalade continue !

Bon ben voilà, ils ne pouvaient pas en rester là...

Dans la course au plus fort taux d'alcool en recourant au fractionnement par congélation (pour les épisodes précédents sur ce blog, voir ici et ), les Ecossais de BrewDog ont annoncé avoir repris l'avantage sur leur concurrent bavarois Schorschräu.

Schorschbräu qui ont donc sorti au début de l'année une Schorschbock 40%, dépassant la Tactical Nuclear Penguin de BrewDog (31 %) . Et aujourd'hui BrewDog annoncent une Sink the Bismarck ! à 41% d'alcool par volume. Vidéo bien débile à l'appui.
Du point de vue marketing, c'est une fois de plus brillant, même si le recours aux stéréotypes usés jusque à la corde des vieux films de guerre quand il s'agit de se frotter aux Allemands, s'il est adapté au public visé, n'est pas exactement d'une inventivité exceptionnelle...

Là où la Tactical Nuclear Penguin était une stout impériale fractionnée trois fois par congélation, la Sink the Bismarck ! est apparemment une India Pale Ale fractionnée par congélation à quatre reprises. Avec une charge en houblon proprement surréaliste.
Buvable ? Comme avec la précédente, faudra voir, mais ils sont fichus de s'en tirer avec les honneurs...

Prix par bouteille de 33 cl : £ 40. Soit plus ou moins le même prix par pour-cent d'alcool que la Tactical Nuclear Penguin.
Bon, à 41%, on est dans la même catégorie de taux d'alcool qu'un whisky courant, donc ça a légitimement son prix...

jeudi 11 février 2010

Montre-moi ta bière et je te demanderai tes papiers...

J'aurais jamais cru que je m'appuierais un jour sur ce t*rch*n, mais il ne faut pas dire fontaine...

Pilier suisse alémanique de la presse de caniveau, le gratuit Blick am Abend, dans son édition d'aujourd'hui, se fait, une à l'appui, l'écho du ras-le-bol des pendulaires face aux contrôles d'indentité effectués dans les train par le Corps des garde-frontières suisses.

Du grand journalisme d'investigation, pour changer.

Un petit peu de contexte : Depuis l'entrée de la Suisse dans l'espace Schengen le 12 décembre 2008, il n'y a plus de contrôles systématiques aux frontières, mais du coup extension du champ d'action des douanes à tout le territoire suisse. Enfin, tant que le canton concerné, souverain sur son territoire en matière de police, a une convention avec la confédération à ce sujet. C'est le cas des cantons frontaliers, mais pas forcément des cantons qui n'ont pas de frontière avec l'étranger (Fribourg est un exemple, ou du moins l'était l'été dernier quand le quotidien La Liberté y avait relevé que les contrôles douaniers sur territoire fribourgeois étaient illégaux.)
Du coup, depuis le printemps 2009, en plus des contrôleurs CFF et des gros bras de la police ferroviaire, on voit régulièrement dans les trains en Suisse des fonctionnaires des douanes, qui se livrent, par paire, à des contrôles, euh, "ciblés", on dira.
A titre de comparaison, dans une situation  analogue, la Police des airs et des frontières française demande, autant que j'aie pu le constater, les papiers de tous les voyageurs, pas juste des noirauds à teint mat et famille nombreuse. Il est vrai que les effectifs engagés y sont plus importants, de l'ordre de six douaniers par wagon au lieu des patrouilles par paires en Suisse.

La mesure est critiquée, entre autres parce que cela revient à faire effectuer des tâches de police par les douanes. Les compétences des douaniers étant plus étendues que celles de la police ferroviaire - ou des polices cantonales. En outre, là où la police ferroviaire n'est armée que d'une matraque de type tonfa, les douaniers ont leur pistolet de service à la ceinture.

Passons, et venons-en à la raison - purement bièreuse - qui m'amène à parler de cette évolution douanière :

L'article du Blick am Abend, rapporte la grogne des pendulaires face aux douaniers sur la base de deux cas de contrôles sur des citoyens suisses, qui n'avaient même pas des têtes de terroristes barbus venus de loin. Apparemment, il suffit de boire de la bière étrangère !

Et le Blick Am Abend de se faire l'écho d'un contrôle subi par un de ses rédacteurs la semaine dernière entre Zürich et Berne parce qu'il buvait de la Jever, une bière du nord de l'Allemagne. Et du contrôle subi par un autre citoyen entre Bâle et Berne parce qu'il buvait de la Kronenbourg.

Bon, la grogne, sur le fond, est liée au fait que des bons Suisses certains d'être au-dessus de tout soupçon subissent un contrôle d'identité. Si ça peut leur faire comprendre à terme que de subir un contrôle d'identité ne signifie pas obligatoirement qu'on ait quelque chose à se reprocher, c'est pas un mal.

Ceci dit - et autant qu'il soit possible de tirer des conclusions sur la base de deux cas rapportés - le fait de boire une bière non suisse dans un train suisse semblerait être suffisant à indiquer aux fonctionnaires des douanes suisses que l'on est probablement en provenance directe de l'étranger, donc de justifier un contrôle d'identité.

Le fait que tant la Jever que le Kronenbourg soient très faciles à sa procurer en Suisse ne semble pas avoir été pris en compte... ni le fait que depuis la fin des jours heureux du cartel de la bière, nombre de Suisses ont découvert qu'il y avait un monde de bières au-delà de nos frontières.

Si quelqu'un sait comment se procurer chez Cardinal de la Moussy aromatisée à la fraise chimique avec des étiquettes en arabe, ou ce genre de truc vachement suspect...
Par pur esprit citoyen, bien sûr : je suis prêt à payer de ma personne, en tant que ressortissant de ce pays, pour donner aux gardes-frontières de ma patrie la possibilité de tester leur sagacité brassicole et d'élargir leurs horizons au-delà de la Kro !

dimanche 7 février 2010

Le Reinheitsgebot , vache sacrée à abattre.

On voit souvent sur les étiquettes et boîtes de bière allemandes des mentions du style "brassée selon le Reinheitsgebot / la loi de pureté bavaroise de 1516". On trouve même des brasseurs suisses, voire belges (par exemple Sterkens pour leur St Sebastiaan), qui s'en réclament

Voilà une vache sacrée à laquelle il devient urgent de régler son compte, parce que beaucoup de monde en parle ou s'en réclame, sans connaître son contenu réel, et surtout sans bien saisir que cet édit du XVIe Siècle n'a pas valeur légale de nos jours…

La loi bavaroise de pureté de la bière, ou Reinheitsgebot est un édit du Duc Guillaume IV de Bavière, remontant au 23 avril 1516, et prescrivant que le brassage de la bière devait se faire exclusivement à base d'eau, d'orge (et non de malt) et de houblon. La levure, dont la nature n'était pas connue à l'époque, n'est pas mentionnée.

On a souvent pris cet édit comme une obligation de brasser la bière exclusivement avec de l'orge, afin d'assurer que toute la production de blé soit affectée à la boulangerie, et non à la bière. Mais c'est à mon avis oublier que la bière était considérée comme un pain liquide, un aliment de base à part entière.

Il est beaucoup plus probable que, comme les édits semblables de Weissensee (1434), Regensburg (1453) et Landshut (1493), le but du législateur ait été d'imposer le houblon à la place du gruit, tant pour des raisons de santé publique [1] que pour reprendre le contrôle total de l'imposition de la bière [2].
Le Reinheitsgebot est tombé assez vite dans l'oubli, mais est exhumé au début du XIXe Siècle par les brasseurs bavarois, à des fins protectionnistes, avec un subtil glissement : là où le texte de 1516 autorisait uniquement l'orge, malté ou non pour le brassage, la nouvelle version n'autorise que les grains maltés, orge, blé ou autre. (Ce glissement se situe très probablement à ce point du cours de l'histoire, et non après la Seconde guerre mondiale, la tradition de bières de froment étant largement attestée en Bavière au XIXe Siècle.)
Le principe "eau, malt, houblon, levure uniquement" sera étendu à tout l'Empire Allemand en 1906. Mais ce principe n'équivaut donc pas à une application du Reinheitsgebot de 1516 à toute l'Allemagne…

Après la Seconde guerre mondiale, la législation allemande sur la bière s'assouplit et autorise l'usage de sucre dans les bières de fermentation haute. Certains extraits de houblon seront autorisés dans toutes les bières, et bien sûr les malts d'autres grains comme le seigle. Les grains crus, fruits, herbes et épices demeurent interdits. Cependant, les bières destinées à l'exportation ne sont pas soumises à ces règles.
Autant dire que ce n'est plus une loi de pureté, c'est une passoire...

En 1987, la Cour européenne de justice déclare illégales les restrictions à l'importation de bières étrangères en Allemagne prétextant du Reinheitsgebot. C'est un assouplissement, mais l'Association allemande des brasseurs soumet toujours à des pressions toute brasserie produisant une bière contenant des ingrédients contraires à la loi de pureté, insistant entre autres pour qu'ils soient désignés par le mot Trunk (breuvage) et non par Bier.

Ce mythe fondamental de la bière allemande a donc, en plus de bercer les consommateurs allemands d'une dangereuse illusion que leur bière est la meilleures du monde, donc que rien ne peut lui arriver [3], le défaut de museler toute velléité de créativité ou d'innovation. Par conséquent les brasseurs allemands ne sortent pratiquement jamais d'un carcan mental d'une demi-douzaine de styles "d'ordonnance" et professent pour la plupart un mépris total des bières spéciales belges ou britanniques.
Ce qui ne les empêche pas de mettre sur le marché nombre de Biermischgetränke, boissons mélangées à base de bière, du simple Radler (panaché) aux concoctions contenant par exemple des colas et des extraits de citronnelle ou de guarana en plus de bière…

En outre, d'un point de vue purement gustatif, on remarquera qu'il est tout à fait possible de produire des bières se conformant en tout point au principe "eau, malt, houblon, levure uniquement" qui n'ont pas grand caractère ou sont carrément mauvaises, alors que nombre de grandes bières belges ou britanniques ne s'y conforment pas pour cause de céréales crues, d'épices, de fruits ou d'autres sources de sucres...

Bref, quand un brasseur se réclame du Reinheitsgebot, c'est à prendre avec des pincettes, et il convient de lui faire préciser quels principes il applique réellement. Les explications peuvent vite devenir passablement embrouillée pour peu que l'on pose sur la table l'incohérence entre le principe "eau, malt, houblon, levure uniquement" et le contenu réel du texte de 1516, qui ignorait la levure - donc implique une fermentation spontanée semblable à celle d'une gueuze traditionnelle - et imposait l'orge uniquement, qu'il soit malté ou non...
Je ne sous-entend pas que ça serait amusant de semer la zone la prochaine fois que vous visitez une brasserie et que le brasseur s'en réclame... je vous encourage activement à le faire !
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[1] Le gruit, mélange d'herbes destiné à aromatiser la bière, contenant diverses herbes et épices, en proportions variables, des planes toxiques comme la jusquiame ou la belladone n'étant pas chose rare.

[2] L'Eglise catholique disposait souvent d'un monopole sur le gruit, par l'intermédiaire des monastères et abbayes locaux, ce qui revenait à prélever un impôt sur la bière qui échappait aux seigneurs locaux. Ce mouvement de résistance des seigneurs allemands aux ingérences de Rome dans leurs affaires est une longue histoire qui culmine avec la Réforme, le soutien de quelques princes au combat de Luther contre le commerce des Indulgences – parchemins censés garantir l'accès au Paradis, de fait elles-mêmes un impôt camouflé - lui évitant le bûcher pour hérésie.
Certains auteurs (en particulier Stephen Harrod Buhner dans son ouvrage Sacred Herbal and Healing Beers) ont été tentés de présenter le passage forcé au houblon comme la répression protestante d'une tradition festive catholique, en imposant le houblon, sédatif, au détriment du gruit stimulant. Mais c'est oublier que les 95 Thèses de Luther, auxquelles on fait habituellement remonter le début de la Réforme, remontent à 1517, soit après le Reinheitsgebot et les édits de Weissensee, Regensburg et Landshut, ce qui exclut de fait tout rapport de cause à effet.


[3] Pour mémoire, c'est exactement la mentalité qui régnait dans l'horlogerie suisse au milieu des années 1960, avant l'arrivée du quartz, de l'affichage digital, et de la crise des années 70 qui faillit l'enterrer définitivement.

mardi 2 février 2010

Mythes et légendes...

L'article paru samedi dernier dans le quotidien vaudois 24 Heures permet de se faire une idée du chemin qui reste à parcourir dans la compréhension de bières britanniques en Suisse Romande.
Consacré aux bières d'inspiration britannique produites par la Brasserie du Château et la Brasserie Trois Dames, dont il est éminemment louable de parler dans un quotidien d'information généraliste, il est malheureusement truffé d'erreurs et d'approximations, tant historiques que factuelles.

Erreurs d'interprétation des propos des personnes interrogées, informations erronées de la part ce ces dernières - qui se basent sur la version "officielle" d'il y a 20 ou 25 ans qui a été démontée maintes fois, sources en main, par des auteurs britanniques tels que Ron Pattinson, Martyn Cornell ou Pete Brown (dans son excellent Hops and Glory) - ou simple perpétuation de clichés, peut importe.

Peu importe qui a effectivement dit quoi. On s'en fout, c'est pas là le propos,  je ne cherche pas ici à jeter la pierre...  juste à faire avancer le schmillblick.

Dans l'ordre...
Les sujets de Sa Gracieuse Majesté aiment leur «cervoise» tiède, paraît-il. C’est Astérix qui l’affirme. Tiède et sans bulles…
Certes, dans Astérix chez les Bretons, il est largement fait mention de la cervoise tiède. Mais il n'est pas fait mention de sa pétillance - ou absence d'icelle... (1)
[...] des bières de tradition anglaise: bitter, Indian pale-ale, stout…
La forme correcte est India Pale Ale, le sens étant "bière claire destinée à l'Inde".
Pas de "n" à la fin d'India.(2)
On pourra discuter sur le tiret de "pale-ale", forme francisée - et à mon humble avis n'apportant rien - que l'on rencontre parfois dans des textes français de la fin du XIXe Siècle. Mais a ce moment-là, la cohérence voudrait qu'on écrive "india-pale-ale" avec un deuxième tiret. (3)
«Quand le pub a ouvert, il y a treize ans, on ne proposait que des bières plates, sans gaz. [...]
Cliché ou exagération ?
Des bières vraiment plates, il en existe certes dans le domaines des spécialités pointues, mais une cask ale anglaise, si elle n'est pas aussi gazeuse qu'une lager de masse Suisse poussée au gaz carbonique, présente une pétillance tout à fait perceptible. (4)


A Sainte-Croix, la Brasserie des Trois-Dames, ouverte il y a quatre ans, fait aussi une belle place aux bières anglo-saxonnes: l’assortiment de Raphaël Mettler compte une bitter, une IPA et des noires de type «stout».[...]
"Brasserie Trois Dames", pas "Brasserie des Trois-Dames". Les trois dames sont l'épouse et les deux filles du brasseur, pas un lieu-dit où serait sise la brasserie... (5)
Et c’est bien [l'eau]  – 80% du produit fini – qui fait la différence
L'eau constitue plus de 90% d'une bière à 5% d'alcool, pas 80%... (6)
«Pour brasser une IPA, les Anglais utilisent une eau très douce qui met le houblon en valeur»
Les bitters, pale ales et IPAs britanniques modernes ont pour référence les formes brassées à Burton upon Trent (centre de l'Angleterre), où l'eau est très dure (7), riche en sulfates, sels minéraux qui ne précipitent pas à l'ébullition, contrairement aux carbonates (ou, en langage courant, "calcaire").
Cette eau donne des bières au houblon très nerveux, assorti parfois d'une touche soufrée.
Les brasseurs qui ne disposent pas de ce type d'eau ont donc tendance à corriger leur eau de brassage avec du gypse (sulfate de calcium) quand ils brassent ce genre de bière.
[...] Les Anglais doivent une fière chandelle aux Américains. Sans eux, l’Indian pale-ale (IPA), née au XVIIIe siècle, aurait bien pu disparaître des pubs d’outre-Manche.
L'IPA n'est pas née au XVIIIe siècle. (8) Ce n'est pas une création spécifique taillée pour répondre à un besoin, tout au plus un style pré-existant qui s'est révélé particulièrement adapté.
Quand une brasserie londonienne du nom de Hodgson commence à fournir de la bière à la Compagnie Britannique des Indes dans les années 1740, elle fournit les bière "normales" de sa gamme, dont du porter, et des october ales ou october stock ales, bières de longue garde brassée chaque automne avec la nouvelle récolte de malt et de houblon. Ce sont ces dernières qui prendront en importance jusqu'à devenir le type de bière le plus exporté vers l'Inde.
Quand, dans les années 1820, Hodgson tenteront de court-circuiter la Compagnie pour exporter directement en Inde, la sanction sera immédiate : Hodgson sont boycottés, et la Compagnie se tourne vers les brasseurs de Burton-on-Trent pour leur demander un clone de l'october ale de Hodgson...
La dénomination India Pale Ale elle-même n'apparaît pas avant les années 1840, et ne s'impose pour ce type de bière que plus tard...
«Au fil des décennies, les brasseries anglaises se sont un peu endormies, explique Yan Amstein, principal importateur romand de bières. Mais les microbrasseries américaines ont redécouvert l’IPA, l’ont repopularisée, depuis une vingtaine d’années. Ce qui a poussé les Anglais à s’y remettre.»
Là, c'ess pas mal une question de perception, et on pourra discuter longtemps.
Le fait demeure que, au creux de la vague, dans les années 1980 et 90, nombre de brasseries britanniques avaient encore une IPA dans leur gamme - en fait une bitter relativement légère au houblon relativement affirmé. D'autre part, certaines microbrasseries britanniques produisaient déjà à la même époque des IPA "historiques" à 6% ou plus,  généralement en petit volumes...
Sans oublier la Worthington White Shield en bouteille, descendante en ligne droite des IPA historiques, qui est toujours là après moults changements de lieu de production et de propriétaire...
Accessoirement, il est de bon ton d'attribuer le coup d'envoi a renaissance des microbrasseries à l'Amérique seule, alors que le mouvement s'est fait pratiquement en même temps en Grande-Bretagne, à savoir autour de 1978-79... Et même en Belgique, c'est une période qui voit un tournant avec la création d'une première vague de nouvelles microbrasseries (comme l'Abbaye des Rocs...)
Signes distinctifs? Une amertume plus marquée et un taux d’alcool légèrement plus élevé que celui d’une bitter.
C'est le cas Ce n'est pas tout à fait aussi simple en Grande-Bretagne...
Comme mentionné ci-dessus, la dénomination IPA, outre-Manche peut, de nos jours tout aussi bien s'aplliquer à une version "de pub", à savoir une bitter peu alcoolisée (3,6-4%) mais au houblon marqué, qu'à une IPA "historique"  à 6% ou plus, avec un houblonnage musclé, ou à une IPA "moderne", dans les 4,5-5,5% avec un houblonnage s'appuyant tout ou partie sur des variétés de houblon nord-américaines.
Des caractéristiques liées à l’histoire de ce breuvage: «A l’origine, cette bière était destinée aux troupes anglaises en garnison en Inde. On ajoutait de la fleur de houblon dans les fûts pour jouer le rôle de conservateur naturel et permettre à la bière de supporter le transport.»
Discutable. L'invention du houblonnage à cru est certes attribuée par certaines sources à Hodgson, mais la chose n'est pas attestée de manière solide.
En outre, on est 3ncore ici dans les marges du mythe selon lequel l'IPA serait une création spécifique pour l'Inde (cf. ci-dessus)
Côté brassage, l’IPA reste une anglaise typique, une ale: une bière de haute fermentation. «Elle est brassée à température ambiante et les levures restent en suspension»[...]
Euh, oui, pendant la fermentation, la levure est en suspension, elle se dépose au fond ensuite...
Bitter
L’Anglaise type. Plate (peu de gaz), légère et faible en alcool, elle se distingue par sa couleur ambrée. 
La couleur ambrée n'est plus distinctive de la bitter depuis une vingtaine d'années. dans les faits, sa couleur s'échelonne du jaune paille au brun roux... (9)
Stout
La Guinness en est l’exemple le plus populaire. Une bière noire à base d’avoine, très forte et très lourde, caractérisée par des notes de torréfaction.
Ok, pour une fois, Guinness est écrit juste, mais pour le reste... un superbe bouquet final  !!

- La stout n'est pas à base d'avoine (c'est techniquement impossible, d'ailleurs, problème de gélatinisation à l'empâtage, ça vire au porridge, plus moyen de soutirer le moût après saccharification...), même si certaines en contiennent une petite proportion. (10)

- "très forte" : cliché ! outre-Manche, les stouts "de pub", grandes marques internationales ou issues de microbrasseries, affichent dans les 4,2 à 4,5% d'alcool par volume. Celle de Trois Dames titre actuellement 4,8%, soit plus ou moins la même chose que les grandes marques de lager blonde... (11)

- "très lourdes" : cliché aussi ! La "lourdeur" d'une bière est liée au taux de sucres résiduels (dextrines, entre autres), liés à la quantité de malt employée au départ, et qui a une influence relativement directe sur le taux d'alcool. Vu les taux d'alcool évoqués ci-dessus, et en l'absence d'une adjonction de lactose (cas spécifique des milk stouts), il est clair qu'une stout courante ne peut, objectivement, pas être qualifiée de "très lourde". Plutôt le contraire. (12)

Par contre, qu'on parle d'un goût corsé ou intense, oui, tout à fait...
Quoiqu'une comparaison verre en main entre une Trois Dames Black Stout et les grandes marques internationales de stout ne ferait que souligner le peu d'intensité aromatique de ces dernières...

Au bout du compte, on mesure le chemin qui reste à faire pour propager la bonne parole et à certains moments rectifier la version "officielle" ou "traditionnelle" de l'histoire de la bière, à la lumière des travaux récents qui se basent sur des sources d'époque, et dont le seul défaut - d'être en anglais - ne saurant en aucun justifier l'ignorance à leur sujet qui prévaut en terre francophone...