mardi 31 janvier 2012

L'Aveu.

Carlsberg Suisse, enfin, Feldschlösschen, viennent de laisser passer un aveu majeur, dont je me demande s'ils ont bien saisi la portée...

Dans un communiqué de presse de ce matin qui annonce une hausse de leurs prix de 4,4% en moyenne,  communiqué repris par une dépêche ATS... ah non, attendez, il se pourrait que ça soit l'inverse... le com' de presse dit "31.01.2012 09:00", et la dépêche "31. janvier 2012 - 08:09"...

Enfin, bref, dans ce communiqué de presse, les communicateurs de Feldschlösschen nous gratifient de la langue de bois habituelle, les machins ronflants d'usage :
"Feldschlösschen mise résolument sur le fait de produire ses bières en Suisse. A côté des marques nationales Feldschlösschen et Cardinal et des marques régionales Hürlimann, Valaisanne, Gurten et Warteck, les bières de marque Carlsberg et Tuborg destinées au marché suisse sont également produites en Suisse."
Mais là, ces grandes déclarations creuses d'attachement à la production en Suisse (qui sont peut-être sincères au niveau de Carlsberg Suisse, mais on a vu quelle importance le groupe Carlsberg accorde à la production en Suisse, avec la fermeture de Cardinal suite au transfert de la production des bières sans alcool chez Kronenbourg...) servent à justifier autre chose: 
"Feldschlösschen a significativement augmenté ses investissements dans le marché de la bière ces dernières années et poursuivra cette politique dans les prochaines années afin de renforcer ses propres bières de marque brassées en Suisse. La brasserie leader en Suisse entend ainsi réagir face à la part de marché croissante des bières importées en Suisse, dont l'augmentation a été significative au cours des dix dernières années."
Ahah... une augmentation des investissement dans les marques, c'est-à-dire le marketing, la publicité...
«En tant que leader sur le marché, il est de notre devoir de renforcer nos propres marques avec des promotions attractives soutenues par des activités publicitaires à grande échelle et en même-temps de poursuivre le développement du segment bière par des innovations»,
Ah, ok, c'est "le devoir" du leader du marché de claquer plein de pognon dans des campagnes massives de promotion, et de reporter le coût sur le consommateur ?

Oui, mais un devoir vis-à-vis de qui ?
Des consommateurs ? Oui oui, à d'autres...
De leurs employés ? Mouais, à la rigueur...
Non, clairement, ce devoir, c'est un devoir de rentabilité vis-à-vis des actionnaires, en fait du groupe Carlsberg. Dans un marché saturé, qui se stabilise au mieux ou baisse chaque année, la seule manière d'augmenter son chiffre d'affaires - donc de donner l'illusion qu'on est en croissance - est d'augmenter les prix.

Une augmentation qui est sans grand risque quand le marché est intégré verticalement par des contrats-brasseurs qui tiennent fermement la distribution, mais que généralement, les grosses brasseries justifient par des hausses des coûts des matières premières, les coûts des transports, ce genre de chose...(ah ben oui, ils le disent, mais en justification secondaire, et ils osent pas trop insister dessus, parce qu'ils ont déjà utilisé l'excuse dans un passé récent: "En outre, les coûts croissants du transport ne peuvent être compensés par la seule augmentation de l'efficience.")

Là, c'est une première, la hausse répercutés sur le consommateur est clairement annoncée comme causée par le besoin de gaver encore plus le consommateur de publicités sur tous supports et de promotions casse-pieds dans les supermarchés... Un cycle promotion-consommation-promotion... qui se perpétue de lui-même sans plus se préoccuper de la production. 

Bel aveu, noir sur blanc, de ce que nous sommes un certain nombre à avancer depuis un bout de temps: Feldschlösschen ne sont plus des brasseurs. Leur activité principale n'est plus la production de bière, mais bien la commercialisation de boissons.

Certes, le monstre brassicole nous parle de "poursuivre le développement du segment bière par des innovations", mais il faut bien comprendre ce qu'ils entendent par ce mot.
Cela fait bien quinze ans qu'il en est question, et le bilan de Feldschlösschen en termes d'"innovation" sur la même période est parlant: Cardinal Eve, ses multiples déclinaisons (Litchi, Grapefruit, Fruit de la Passion, plus quelques saisonnières comme Pêche, Raisin Blanc, etc.) et sa soeur jumelle Feldschlösschen Fresca (versions Yuzu-Lemon et Grapefruit-Cranberry)... Feldschlösschen Premium, Feldschlösschen Amber, Feldschlösschen Bügel, suivant toutes trois servilement les tendances lancées par d'autres brasseries sur le marché suisse alémanique... les versions à 2,4% de Cardinal et Feldschlösschen... mais aussi l'Urtrunk, qui n'existe plus en bouteille.

Sans oublier les nombreux flops, marques lancées à grand renfort de campagnes promotionnelles et retirées après quelques années, parfois quelques mois: Cardinal Best Lager (destinée à concurrencer Heineken, disait-on à l'époque de son lancement), Cardinal Millenium (mélange de bière et de vin mousseux au splendide bouquet de gruyère industriel), Cardinal Monsoon (aromatisée à la mangue y compris le côté poussièreux-renfermé), Feldschlösschen Castello Sélection Amber (qui devait inaugurer une série de bières destinées à la gastronomie inspirée des Semper Ardens de Carlsberg Danemark... les autres ne sont jamais sorties), Feldschlösschen Fraîche (passée tellement vite que je l'ai manquée...), Feldschlössen Gold (pauvre en hydrates de carbone, 8 Plato poussés à 4,3% d'alcool, remarquablement similaire au goût à une bière sans alcool, sauf qu'il y avait de l'alcool), Feldschlösschen Grand Cru (autre tentative en direction de la gastronomie, pas plus fructueuse que la Castello), Feldschlösschen Ice (destinée à concurrencer la Cardinal Draft), Feldschlösschen Quinto (fameuse "bière birchermüesli" aux 5 céréales), etc.

Donc "innovation" doit apparemment signifier, en langue de bois brassicole, quelque chose de l'ordre de "faire diversion en lançant régulièrement des trucs"...

Par contre, investir dans la fidélisation à long terme d'une clientèle en se concentrant sur le caractère et le goût des produits, sur des processus sans raccourcis, sans bricolages honteux, ne semble pas à l'ordre du jour...Ah oui, mais attendez, ça signifierait rendre le pouvoir aux brasseurs, vous n'y pensez pas sérieusement ?

Bref, est-ce que cette fois-ci, ça ne va pas un petit peu finir par se voir ?

Santé !

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jeudi 1 décembre 2011

Sur les frontières

C'est pas pour dire, mais ça commence à se voir un peu, cette concentration d'excellentes brasseries implantées à proximité, au plus quelques kilomètres de la frontière suisse...
Côté suisse de la chaîne du Jura, il y a la Brasserie des Franches-Montagnes et la Brasserie Trois Dames
Au bout du Tessin, du côté de Varese, il y a Ticino Brewing Company, et juste de l'autre côté de la frontière, l'excellent Bi-Du
Sans oublier Ruppaner à Constance, qui, bien que d'une orthodoxie toute germanique, produisent des lagers d’une tenue supérieure à ce que produisent les brasseries suisses de ce côté-là du pays…
Et puis ?
Ben y'en a une de plus... Quelle question!

Du côté de Genève, côté français il y a la Brasserie du Mont Salève, ouverte à l’été 2010 par Michaël Novo, jeune chimiste passé au brassage après quelques années en amateur, a de quoi réveiller les palais du bout du Léman, avec une gamme de bières variée, faisant un excellent usage des variétés de houblons disponibles à l'heure actuelle.

Le lieu, à Neydens, à la sortie de St. Julien-en-Genevois, dominé par le Salève et non loin du Macumba, boîte de nuit à la réputation passablement beauf, est un peu improbable : c’est au sous-sol - ou plutôt au rez inférieur ? - d'une salle de réunion des Témoins de Jéhovah. Le bâtiment est discret, et quand on arrive par le sud, on peut aisément passer devant sans voir l’enseigne de la brasserie…


L'installation de brassage est de petite taille, 400 litres par brassin, avec pas mal de matériel d'occasion, de récupération et un peu de bricolage maison. Un superbe moulin à céréales, des cuves d'empâtage, de cuisson, de fermentation et de garde, une chambre froide, une chambre chaude pour la refermentation en bouteille, et un petit bar près de l'entrée, le tout est très compact, et tient sur, quoi ?... une soixantaine de mètres carrés ?

J’y suis passé il y a quelques jours, ayant goûté une des ses bières en juillet... et c’est un petit peu une révélation, parce que, franchement dit je ne m'attendais pas vraiment à ce que le niveau soit aussi uniformément bon !

La Blonde tient déjà un peu de la mise en garde : sèche, nerveuse, avec une jolie amertume finale, un eu de corps, un fruité plaisant... Une bière de soif, certes, mais qui ne perd pas de temps à s’excuser d’être là.

La Blanche affiche une amertume assez modérée, 70% de blé cru, relevés d'une puissante note d'agrumes apportée par du Citra, spectaculaire variété de houblon nord-américaine. Aromatique et rafraîchissante à souhait, nettement en rupture avec le sempiternel coriandre-curaçaõ des blanches belges.
En aparté, il est d'ailleurs intéressant de relever que, sur un principe analogue de blanche au houblonnage très aromatique - ou de wheat ale façon anglaise - celle-ci donne au nez et en bouche une impression sensiblement différente de la VI Wheat de Jandrain Jandrenouille ou la Larme Blanche de la Brasserie le Paradis... C'est clairement un domaine où il y a encore de la marge pour de nouvelles expérimentations et de nouvelles flaveurs !

Toute la gamme n'étant pas forcément disponible en tout temps – c'est de l'artisanat – donc impasse sur la Special Bitter dont j’ai entendu le plus grand bien... Ça sera pour une autre fois !

Suivent la Stout au grillé bien tranché, et la Tourbée, rousse franchement fumée, loin du cliché des timides bières-au-malt-à-ouiski françaises, au potentiel gastronomique plus qu'évident (fromages, saumon mariné ou poché, cochonaille...)
Toutes deux sont très bien construites, nerveuses et sèches, bien que le houblon y soit en retrait. Comme quoi, sur ce terrain-là aussi, ça tient la route !
Et puis on passe aux choses sérieuses avec la Mademoiselle Aramis IPA, 6% d'alcool, houblonnée exclusivement à l'Aramis, nouvelle variété alsacienne. Le résultat est d'une élégance toute britannique, avec des notes poivrées et d'écorce d'oranges relevant une amertume persistante et légèrement terreuse.
L'India Pale Ale « normale » est un petit peu plus alcoolisée (6,7%), mais plus ronde, avec des accents un petit peu nord-américains de fruits exotiques (Amarillo) agrémentant un côté floral et poivré (East Kent Goldings et Strisselspalt)
Toujours dans les IPA, l'Amiral Benson, mise en bouteille une semaine plus tôt, donc encore un peu jeune quand je l'ai dégustée, déploie au nez et au palais le fruité entre lychee et raisin blanc du Nelson Sauvin, variété de houblon néo-zélandaise tout à fait spectaculaire.
Mais attendez, c'est pas fini !

La Bière de Noël est un autre délicieux OVNI : rousse relativement sèche à 6%, elle fait l'impasse sur les épices « de Noooohëllll », et s'appuie uniquement sur le Simcoe, houblon étasunien lui donnant des notes de cerise, fruits rouges et bourgeons de sapin et un petit côté terreux pour ancrer le tout dans la base de malt. Courageuse rupture par rapport au cliché de la bière de Noël. Et réussie, de surcroît.

Le Barley Wine est encore autre chose... 10,5%, c'est du solide... mais aucune surépaisseur, pas de côté lourd, sirupeux ou collant, c'est très bien atténué. Pas non plus d'alcool évident au nez ou sur le palais, l'alerte sonne uniquement au passage des amygdales, par une joyeuse bouffée de chaleur, sans agresser les sens... La base maltée est fruitée, évoquant peu les raisins secs, et équilibrée de manière harmonieuse par une bonne grosse baffe de houblons comme je les aime...
En bonus hors commerce, Michaël m'avait auparavant fait goûter le corollaire de ce Barley Wine : une Petite Bière à 3% et des poussières, issue, conformément à la tradition, du rinçage des drêches d'icelui. Donc sèche et relativement mince... à ceci près que les houblons appelés massivement à la rescousse – dont du Sorachi Ace, variété japonaise spectaculaire donnant dans le fruit exotique et l'ananas, voire la noix de coco – lui donnent une présence tout à fait bluffante en bouche... et une finale longuissime, très amère et aromatique. (180 IBU théoriques, pour ceux qui comprennent ce genre de jargon... pour les autres: dix fois la charge en amertume d'une Kro ou d'une Cardinal, et bien plus encore en termes aromatiques)
Bref, y'a de quoi faire, et une très belle maîtrise, dans la construction, au-delà de la seule cavalerie houblonnée. L'esprit inventif de Michaël étant ce qu'il est, avec un plaisir évident à brasser avant tout des bière comme il les aime, sans trop s'empoisonner l'existence à se dire que le public ne va pas suivre, j'ai une vague impression qu'il n'a pas fini de chahuter les papilles gustatives dans la région genevoise.

A suivre !

Brasserie du Mont Salève, 151 Rue du Jura, F-74160 Neydens
Tél. : +33 4 50 74 96 61
Ouvert du mercredi au vendredi de 16 à 19h et le samedi de 10 à 12h et de 14 à 18h.

Transports publics : certains bus de la ligne D, partant de Bel-Air, et raccordé aux lignes de tram venant de la gare de Cornavin à Bachet-de-Pesay et au P+R Etoile, vont jusqu’à Vitam’Parc, à quelques minutes à pied de la brasserie… mais uniquement les mercredis, samedis et dimanches. Donc vérifiez sur www.tpg.ch et/ou www.cff.ch avant de vous mettre en route !

samedi 26 novembre 2011

Un peu de lecture ?

Brasseries artisanales de Suisse romande est sorti le mois dernier, avec une introduction de la main de votre serviteur. Et le glossaire itou, à ceci près que ce n'est pas forcément très clair en lisant le livre...

(Petit aparté: merci à la chroniqueuse du Temps, qui a manifestement apprécié mes contributions mais pas mentionné - ou pas remarqué - mon nom dans son article du 23 novembre dernier...)

La grande qualité de l'ouvrage, outre le fait même d'exister, est sa mise en page attrayante, richement illustrée, qui permet entre autres de mettre des visages sur cette renaissance brassicole romande.
Donc c'est un livre qui a une chance de toucher un large public qui pourrait ne pas avoir fait l'effort de chercher des sources en ligne telles que The Ultimate Switzerland Beer Guide de mon ami Philippe "Bov" Corbat, ou qui pourraient être rebutés par son usage de l'anglais et par la mise en page éminemment spartiate de son guide. *
Par ailleurs tout le monde ne se balade pas - encore ? - le nez dans son smartphone ou sa tablette, connecté en permanence au Grand Cyberfoutoir Planétaire... D'ailleurs - rappelerai-je perfidement en bon bibliothécaire-documentaliste - un livre sur papier n'est pas à la merci d'une panne d'accumulateur ou d'un trou dans la couverture réseau de votre opérateur !

Vous remarquerez en passant que la couverture de l'ouvrage omet le terme "guide". Et effectivement ce n'est pas un guide, mais un répertoire illustré. Le parti pris de l'éditeur et de l'auteur était de ne pas trier, ne pas recommander l'un plutôt que l'autre, et ne pas exercer de critique en termes de qualité des produits ou de petits arrangements avec la réalité.

Soit. C'est un choix que je respecte.
Sans quoi je n'aurais d'ailleurs pas accepté de contribuer (et d'être payé pour ce fait).

Bref, le rôle de mon introduction, dans ce contexte, était de fournir des clés de lecture, un cadre de référence permettant ensuite aux lectrices et lecteurs de se faire une opinion. Ce que j'ai fait, et je ne saurais trop vous en recommander la lecture si vous cherchez à comprendre ce qui se passe en termes brassicole en Suisse Romande.

A ceci près que la version publiée est amputée de deux paragraphes significatifs. Retirés sur insistance de l'auteur, apparemment soucieux de froisser quelques susceptibilités, vu que - et bien que j'aie pesé chaque mot - les cas cités sont relativement précis. Point de vue que je peux comprendre, même si je ne l'approuve évidemment pas.

Je précise ici que j'ai moi-même proposé le retrait de ces paragraphes, vu qu'ils posaient problème et que je refusais l'idée d'une ré-écriture. Néanmoins, il me semble utile de les diffuser ici, justement à des fins d'information indépendante et critique.

Donc, si vous l'avez déjà, quand vous arriverez au bas de la page 13, insèrez ceci :
En outre, tout ce qui ressemble à une micro-brasserie ou à une bière produite localement ne l’est pas forcément. Vous trouverez par exemple dans ces pages les 4 succursales d’une chaîne de brewpubs remarquablement uniformisés par leur cadre, leurs bières et même la nourriture qui y est servie. Cette chaîne est l’adaptation à la Suisse romande d’une franchise développée à l’origine en France : à ce stade-là d’uniformisation, s’appeler artisanat devient un terrain très glissant...
Côté bières de production locale qui n’en sont pas, vous ne devriez pas trouver dans ces pages de bières d’étiquette telles que la gamme Calvinus, qui s’intitule « bière de Genève » mais n’en n’est pas moins produite à façon par la brasserie Locher à Appenzell, détail qui ne figure bien sûr pas sur l’étiquette ! Par contre, on a vu, au cours des années, un certain nombre de cas de micro-brasseries ou de brewpubs produisant bel et bien leur bière pression sur place, mais faisant produire leurs bières en bouteille ailleurs. L’extrême est atteint par une brasserie de la région lausannoise qui fait produire ses bières bouteille... au Québec ! La chose est heureusement clairement annoncée sur l’étiquette, mais cela n’empêche apparemment pas certains cafetiers peu attentifs de la vendre comme une bière de micro-brasserie de production locale.



Je ne saurais donc trop exhorter les lecteurs et lectrices de cet ouvrage à faire preuve d’un minimum de vigilance, et à se manifester, fermement mais poliment, quand ils et elles constatent ce genre de petits arrangements avec la réalité.

Voilà.

Si vous ne l'avez pas encore, maintenant que vous avez lu ce qui en a été retiré, plus d'excuse: achetez-le, et lisez le reste ! ;o)

Et après ? Faites-en bon usage, soutenez les brasseries près de chez vous en goûtant leurs bières. Si vous devez être critiques, soyez constructifs. Et polis.

Santé !

*oui, celui-ci est un guide, en plus d'être un répertoire, vu que Philippe n'a pas peur de donner des avis, parfois fort critiques.


PS: Warf, j'aurais dû me méfier: Calvinus ont été inclus.


PPS : Si vous voulez un bon contre-exemple de guide brassicole en français, qui sache ne pas prendre de gants quand la bière est calamiteuse, et par ailleurs récemment récompensé, je recommande chaudement La Route des grands crus de la bière: Québec et Nouvelle-Angleterre de Martin Thibault et David Lévesque Gendron 

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mercredi 22 juin 2011

Projet Annedd'ale.

Le petit monde des brasseries du Québec est en train de se doter d'un style de bière inédit, ancré autant que faire se peut dans une identité locale : l'annedd'ale.

Jeu de mots entre ale, bière de fermentation haute, et l'annedda, arbre de vie des Amérindiens, selon les recherches de l'auteur Québécois Jacques Mathieu. L'anedda était la composante principale du breuvage qui sauva les compagnons de Jacques Quartier du scorbut à la fin de l'hiver 1536, et que des recherches récentes indiquent être le sapin baumier (abies balsamea).

Il s'agit d'un projet collectif, piloté par un groupe composé des bièrologues Mario D'Eer et Philippe Wouters, du maître-brasseur et consultant Michel Gauthier et du maître-levurier Tobias Fischborn, visant à mettre au point des bières à base de malt québécois, aromatisées au sapin baumier, et à l’aide de houblons aromatiques. Les bières sont fermentées à l'aide d'une souche de levure spécifique, prélevée sur le site historique de la première brasserie créée par l'intendant Jean Talon en 1668, puis isolée, sélectionnée et propagée par la banque de levures Lallemand. Les brasseurs qui se lancent dans l'aventure obtiennent la levure, et s'engagent à échanger leurs expériences pendant la phase de mise au point de leurs versions respectives de l'annedd'ale.

J'ai eu l'honneur d'assister à une bonne partie de leur réunion, regroupant cinq brasseries (A l'Abri de la Tempête, La Barberie, Bedondaine et Bedons Ronds, Dieu du Ciel! et Le Trou du Diable) et, c'est à relever, une paire de brasseurs amateurs, avec dégustation des premiers brassins, le 9 juin dernier au 18e Mondial de la Bière de Montréal.

Autour de la table, une chose m'a frappé d'emblée : un esprit de transparence, de franche coopération vers un but commun. Pas de rétention d'information, pas de petites cachotteries mal placées. Tout le monde est là pour faire avancer un processus collectif. Par rapport à la mentalité de secret et d'individualisme forcené dont font montre beaucoup d'artisans brasseurs en France ou en Suisse, c'est un contre-exemple très rafraîchissant... et il reflète une ambiance générale détendue sur ce plan-là dans le paysage brassicole québécois, dont il pourrait être utile de s'inspirer de notre côté de la Grande Flaque (ainsi qu'y appelle par exemple le Front Hexagonal de Libièration dans son manifeste... hé oui, le FHexL n'est pas qu'un club de houbloïnomanes!).

A la dégustation, l'intérêt du processus collaboratif est évident, les options choisies par les différents brasseurs étant très diverses, tant dans la couleur, le mélange de malts, les houblons employés en complément, la température de fermentation, le dosage du sapin baumier ou l'étape à laquelle il est ajouté. Certains, comme Bedondaine et Bedons Ronds, ont déjà une expérience des bières à l'épinette (épicéa en franco-québécois), et avaient donc une recette de base leur donnant de solides points de comparaison, tant en matière de puissance aromatique du sapin baumier que de d'étape du processus à laquelle il est ajouté. A l'Abri de la Tempête, l'ont brassée franchement brune et caramélisée, Dieu du Ciel! ont choisi de la faire blonde, sèche et un petit peu surette, avec de l'épeautre, Le Trou du Diable s'insérant un peu à mi-chemin avec la sienne, d'un bel ambre roux.

Le dosage du sapin baumier est bien sûr déterminant, et si la note dominante est en général une note résineuse et herbale de conifère, d'autres facettes se font jour dans l'une ou l'autre bière, en fonction du profil de la bière de fond et du dosage : framboise, menthol, thym, romarin un peu citronné, voire basilic. Il n'y a guère que l'essai de La Barberie, plutôt timide dans le dosage (d'extrait) de sapin baumier, qui n'ait pas présenté de notes franches dans ce registre-là, et s'est révélé un peu décevante en comparaison directe avec les autres.

La levure spécifique choisie semble pour le moment assurer un démarrage rapide de la fermentation, mais celle-ci s'arrête vite, laissant passablement de sucres résiduels. En outre, cette levure tend à rester en suspension, troublant les bières finies. Mais n'oublions pas que les levures transplantées dans un nouvel environnement de travail mutent rapidement pour s'adapter. Les premiers indicateurs recueillis sur de la levure réutilisée par certains après un premier brassin indiqueraient une amélioration de l'atténuation (en clair : une consommation plus complète des sucres par la levure). Chaque installation de brassage étant différente, il sera inévitable que des évolutions différentes se produisent, donc que plusieurs souches aux caractéristiques différentes fassent à terme leur apparition.

Bref une affaire à suivre. D'ici une année le projet devrait être ouvert à toute brasserie - québécoise ou non - désireuse de s'essayer à l'annedd'ale, sur la base d’un cahier des charges définitif, et le choix devrait donc encore s'élargir.

Honnêtement, le but annoncé d'en faire LE style de bière national du Québec me semble un brin ambitieux, mais le potentiel est bel et bien là pour établir solidement les annedd'ales comme une spécialité brassicole québécoise, de manière un peu comparable à la manière dont les micro-brasseries italiennes se sont appropriés les bières aux châtaignes, - laissant les pionniers corses du genre loin derrière eux...

PS : Le cahier des charges provisoire est disponible ici.

mercredi 4 mai 2011

Au bout du bout du Tessin...

Inutile de rappeler à mon cher lectorat que la Suisse est traversée par une ligne de partage brassicole : le tiers ouest, francophone est reparti de presque zéro en matière de bière il y a une grosse décennie, et donc plutôt porté sur les fermentations hautes plus faciles à produire en micro-brasserie.
Les deux-tiers est, germanophones, ayant gardé un tissu de brasseries régionales, mais restent pour l'essentiel incapable de sortir du carcan de l'orthodoxie germanique... même les micros-brasseries y produisent pratiquement exclusivement des lagers blondes, parce que "c'est ce que les clients veulent"...

Mais c'est oublier - comme toujours - le Tessin.

Jusqu'à il y a 18 mois, le Tessin restait largement annexé à la Suisse alémanique, avec un peu de lager alémanique dans un pays de vin... il y avait certes l'Officina della Birra à Bioggio qui faisait un peu autre chose que l'orthodoxie germanique, mais l'influence de l'effervescence brassicole italienne restait très limitée... Et ce n'était pas une Birra Gottardo produite à Einsiedeln qui allait tellement changer la donne...

Et puis la Birraria de Mendrisio a évolué en une Ticino Brewing Company, avec l'arrivée de Lorenzo "Marcos" Bottoni, qui brassait jusque-là du côté d'Imperia (pour paraphraser: "Ma femme a trouvé du travail en Suisse, et j'ai suivi... La Suisse était vraiment le dernier endroit au monde où je voulais venir travailler, mais finalement, c'est pas mal... Quand tu donnes des ordres, les choses se font, et l'administration côté fiscal nous complique beaucoup moins la vie qu'en Italie..."), et les choses ont commencé à bouger...
Littéralement collés à la frontière italienne à la sortie de Stabio à l'extrémité sud du Tessin (quand on voit que BFM et Trois Dames sont aussi à quelques km d'une frontière, on se dit qu'il doit y avoir quelque chose...), Lorenzo et son compère tessinois Nicola Beltraminelli, tout en poursuivant la production de leurs gammes respectives (Birra San Martino et Birra Nuda), ont lancé la gamme Bad Attitude Craft Beer, mettant en exergue l'immortelle citation de Mae West : "When I'm good, I'm very good. But when I'm bad, I'm better."

A l'origine, les Bad Attitude devaient être vendues en boîte alu de 33 cl uniquement, mais sont passées courant 2010 à un modèle de bouteille trapu et léger rappelant les années 70. A l'intérieur, des bières au caractère marqué, puissant, souvent assorti d'un houblonnage assez musclé.
L'influence nord-américaine est assez évidente, mais à l'italienne: la Hobo, par exemple, contient 29% de seigle et 10% de blé dans le mélange de malts, ce qui n'est pas exactement orthodoxe pour une India Pale Ale mais fonctionne très bien au final.

J'ai reçu récemment de la brasserie des échantillons de deux de leurs dernières productions: la Kurt ("pale ale in cans") et la TwoPenny (porter); emballés dans un superbe carton griffé Bad Attitude, avec rien moins que du malt comme rembourrage de protection (qui fait en plus un très joli arrière-plan pour photographier les bouteilles, petits malins...)

Alors parlons-en...

La Kurt est bien sûr un hommage à Kurt Cobain (y'a bien des Ecossais qui font de la bière punk, alors pourquoi pas une bière grunge, hein?). Elle est destinée à servir d'entrée de gamme, d'initiation à une bière plus riche en goût pour le buveur de blonde de base.
Et force est de constater que c'est assez réussi. Blonde tirant sur le bronze, légèrement trouble, avec un bouquet houblonné et fruité (notes de litchi et de raisin blanc), et un palais sec, fruité et aromatique, se terminant sur une amertume nerveuse et aromatique.
Avec 4,32 % d'alcool et 31 IBU (unités d'amertume), c'est une bière de soif plaisante et blindée de caractère, qui passera comme une fleur par temps chaud, et n'est en fait pas sans rappeler la Trashy Blonde de chez BrewDog (et c'est un compliment !)
L'échantillon dégusté présentait une très légère touche métallique, probablement liée à une petite oxydation (NON, c'est pas la boîte !), mais c'est très peu de chose, même les brasseries industrielles avec leurs processus soi-disant parfaitement contrôlés font pas mieux, et de loin !

La Two Penny, de son côté, est un autre bestiau... 8,15% d'alcool, 76,4 IBU, c'est du massif... Brune très foncée, mousse crème, bouquet rôti riche (café, mélasse, et une touche de vanille), étonnamment sèche au palais, toujours avec de snotes de café et de mélasse noire qui amènent à une amertume finale puissante et longue en bouche.
Only mad dogs and Englishmen would drink this in the midday sun... mais c'est une fichue merveille pour de la bière suisse en général, et tessinoise en particulier !

Mais il y a un petit problème... en fait un assez gros: l'essentiel des Bad Attitude est exporté vers l'Italie, et il est difficile de se les procurer au Tessin, et simplement impossible dans le reste de la Suisse. La boutique en ligne du site n'est pas encore opérationnelle, et la seule manière de s'en procurer est de commander quelques caisses par e-mail (adresse ici, et dites bien à Alessandra que vous venez de ma part...)

Bref, ça serait pas forcément un mal que quelque caviste ou distributeur romand s'essaie à rattraper une partie de la production (et éventuellement de l'excellente Seson de Birra Nuda, aussi produite à Stabio, une pure merveille...) avant qu'elle passe la frontière, parce qu'on a là des bières de très bon niveau...

Salute !

vendredi 4 mars 2011

Naissance du Front Hexagonal de Libièration - on se sent moins seul !

Le Front Helvétique de Libièration (FHelL) a le plaisir d'annoncer la naissance, outre-Jura, du Front Hexagonal de Libièration (FHexL)

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Communiqué
Sous embargo jusqu’au 4 mars 2011, 10:00 CET
LIBIÈRATION!
Fondation du Front Hexagonal de Libièration
Réuni aujourd’hui vendredi au Salon du Brasseur de St Nicolas de Port, près de Nancy, le Front Hexagonal de Libièration (FHL) a révélé son existence au grand jour et présenté son manifeste.
Nébuleuse de six artisans-brasseurs renforcés de quelques sympathisants, le FHL est une initiative contre la relative torpeur et le cynisme qui touche le monde brassicole français. Partant du constat qu’effectivement la microbrasserie ne s’est jamais aussi bien portée en France qu’actuellement, le FHL relève dans son manifeste les risques de toute complaisance ou autosatisfaction, la partie étant loin, à leurs yeux, d’être gagnée.
Parmi les choses que déplore le FHL, il y a la réticence de la brasserie française à employer les houblons à leur plein potentiel, par peur d’une amertume supposée choquer les consommatrices et consommateurs. Ayant justement constaté le contraire dans les faits, les brasseries membres du FHL vont apposer une série de trois macarons identifiant clairement leurs bières plus fortement houblonnées mais au goût équilibré.
Aux dires d’un porte-parole du FHL désirant demeurer anonyme : « Bien sûr que le FHL est un coup de gueule, et un coup de gueule avec un sourire en coin. Mais ce que nous relevons n’en demeure pas moins très sérieux, et doit être entendu du milieu brassicole français, sans quoi nous allons collectivement manquer le coche. LIBIÈRATION ! »
Note : Le Manifeste du FHL et quelques documents complémentaires sont disponibles sur le site http://www.libieration.org/
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Bon, j'en vois rigoler dans le fond, là... internationalisation de la lutte (ou, comme disait un des fondateurs du FHexL "Laurent est en train d'ouvrir des franchises...")

C'est pas tout à fait aussi simple. L'initiative vient bel et bien de cinq brasseurs et une brasseuse français, exprimant des frustrations étonnamment convergentes par rapport au cynisme et à la pleutrerie ambiante dans le milieu. J ne fais que suivre l'évolution de près et donner de petits coups de main ici et là...

Eux produisent, à petite échelle, avec une éthique de travail et un amour du goût qui tranche sauvagement avec la mauvaise réputation qu'ont les micro-brasseries françaises de ce côté-ci du Jura. Je suis consommateur-agitateur. Nos intérêts convergent, dans un esprit convivial et doucement rigolard.

Mais attention, ce n'est pas que de la rigolade. Comme le relève le communiqué, il y a de vrais problèmes et de vraies questions posées dans le manifeste du FHL, qui demandent des réponses claires. Sans quoi la micro-brasserie française, assise sur son cul à se contempler béatement le nombril, va se prendre quelques claques retentissantes dans pas bien longtemps...


Longue vie au Front Hexagonal de Libièration !
 

jeudi 3 mars 2011

(Attention copinage)

Ceci doit être une première, à savoir la première série de sous-bocks au monde montrant une brasseuse dévêtue sur son lieu de travail:


Et si ce n'est pas le cas, c'est sans contestation possible la première série de sous-bocks au monde montrant une brasseuse dévêtue en bottes fraise sur son lieu de travail.

Évidemment la chose, depuis son annonce ce matin est interprétée de manière variable, de l'adhésion inconditionnelle aux critiques acerbes ou inutilement agressives... ce qui est assez inévitable.

Exploitation sexiste ?
Même pas!
La principale intéressée, Marjorie Jacobi est la fondatrice-directrice-brasseuse-et-ouvrière de la Brasserie le Paradis, à Blainville-sur-l'Eau, près de Nancy, et, connaissant un peu la boîte et le caractère entier d ela patronne, personne n'a pu interférer dans le processus de décision.

Coup publicitaire pour vendre sa bière ?
Non plus, ne serait.ce que parce que toute la production est écoulée sur site, et que Marjorie arrive à peine à suivre la demande en termes de production...

Il y a sans doute une bonne dose de provoc' - quoique, à y regarder de plus près, il n'y ait pas de quoi fouetter un chat - doublé de pas mal de courage (ou d'inconscience, diront certains) pour se lancer dans un truc pareil, et une bonne pincée d'autodérision. Et oui, le plaisir de "faire un coup"...

Qui plus est - précision à l'adresse des abruti(e)s qui pourraient être tentés de se jeter sur la conclusion hâtive la plus proche et de prendre la dame pour une écervelée - on a affaire ici à une brasseuse qui jouit d'un large respect dans le milieu pour la ténacité dont elle fait preuve depuis trois ans pour le montage puis l'exploitation de sa brasserie, pour la qualité très probante de sa gamme de bières, à mon humble avis quelque part dans le dessus du panier de ce qui se fait en France actuellement (La Ptite Sylvie est une des très bonnes IPA produites actuellement en France), ce qui ne gâche rien, ainsi que pour l'indéniable panache de son personnage public, avec une prédilection pour les bottes en caoutchouc hors norme.

Voilà. Fin du copinage.
A vot' bon cœur M'sieur-Dames !

Les collectionneurs pourront passer commande à marjorie@brasserieleparadis.com pour se procurer la série de 15 sous-bocks en tirage limité, pour la modique somme de 30 Euros (plus 3.50 Euros de port pour la France métropolitaine, pour l'étranger, se renseigner) et apporter par là quelques liquidités supplémentaires à la brasserie. Merci !