mercredi 31 mars 2010

Carlsberg Suisse augmente ses prix

Carlsberg Suisse ont annoncé hier, le 30 mars, une augmentation de 4 centimes par litre pour les bières des marques Cardinal et Feldschlösschen en fût et en bouteilles consignées. Donc les formats s'adressant principalement à la gastronomie. Information reprise entre autres par 24 Heures sur la base d'une dépêche Associated Press (AP)

Et alors ?

Ben rien.

Buvez autre chose. C'est tout.

Par exemple ça.

Ou les produits d'une brasserie indépendante ou d'une micro proche de chez vous (en vous référant à la liste sur l'excellent site de l'ami Bov)

 

mardi 30 mars 2010

Terrain glissant

Bon, vu qu'on commence à lire n'importe quoi sur le web francophone à ce sujet, posons quelques jalons sur l'affaire Fucking Hell...

Hier, 29 mars 2010, mon confrère bloggeur Barm citait les sites web du canard de caniveau britannique The Sun et de la radio-télévision autrichienne ORF se sont faits l'écho d'une décision de l'Office pour l'Harmonisation des Marques dans le Marché Intérieur (OHMI) à propos d'un recours sur un enregistrement, refusé une première fois, de la marque européenne "Fucking Hell" pour les classes 25 (vêtements, chaussures, chapellerie), 32 (bières et boissons sans alcool) et 33 (boissons alcoolisées à l'exception des bières) de la Classification de Nice (en entier : "Classification internationale des produits et des services aux fins de l'enregistrement international des marques établie en vertu de l'Arrangement de Nice")

Evidemment, Fucking Hell, en anglais, s'emploie plus ou moins dans les circonstances où on dirait "putain de merde" en français. Et c'est à ce titre que l'OHMI l'avait refusé une première fois, comme de nature à choquer.
Mais le déposant, un Berlinois du nom de Fellenberg, a fait valoir, via sa mandataire, qu'il s'agissait d'une bière blonde de fermentation basse (Lager hell ou Helles) se référant au petit village autrichien de Fucking. Argumentation qui semble avoir été acceptée.

Sauf que c'est du très grand n'importe quoi...

-  pour commencer, si la marque est supposée signifier "blonde de Fucking", l'énoncé est syntaxiquement boiteux. Il suffit de taper "Hell" dans le bidule de recherche d'un site comme RateBeer, pour se convaincre que, sur le modèle d'Altdorfer Hell, d'Altenrüthener Hell ou encore d'Andechser Hell, la forme la plus vraisemblable serait en fait Fuckinger Hell,  pour marquer d'un suffixe -er la notion de provenance. Mais bon, je veux bien qu'on puisse avoir affaire à une variante genre Aemme Hell.

- Si l'on n'en croit l'ORF - qui sont a priori assez bien placés pour en parler - il n'y a pas de brasserie à Fucking, et le bourgmestre n'a jamais entendu parler d'un quelconque projet d'établir une brasserie. Etant donné que le déposant est allemand, ça sent très fort le coup marketing fumant permettant de faire du pognon vite fait, mais les habitants de Fucking n'en verront pas la couleur. En soi, c'est très discutable.

- l'enregistrement OHMI ne semble pas poser de limitation par rapport au fait que la marque se réfère à un lieu géographique, donc que le produit devrait y être produit. Bon, si ma mémoire est bonne, la pratique quand une marque se réfère à un lieu, c'est au plus de limiter aux produits fabriqués dans le pays. Mais là, on dirait bien que dans les faits, cette bière, si elle devait un jour apparaître - car elle n'est pas encore sur la marché ! - pourrait être produite n'importe ou en Allemagne, par exemple.

- Les classes de produits et services enregistrées sentent aussi le coup marketing, en particulier, l'enregistrement pour la classe 25, qui indiquent bien que le déposant a déjà envisagé la possibilité de vendre des t-shirts, casquettes etc marqués Fucking Hell. le potentiel commercial est d'ailleurs indéniable...

Bon, il y a quand même un petit détail qui relativise le tout. Dans l'enregistrement OHMI, il y a, sous "type of mark" (type de marque, donc...) un "figurative".
C'est-à-dire que cet enregistrement ne protège en fait que le logo avec ce graphisme, mais ne constitue pas une protection donnant l'exclusivité des mots Fucking Hell eux-mêmes (on parlerait de marque verbale, dans ce cas). Pourquoi donc ?
Parce que la pratique en la matière exclut clairement d'enregistrer des expressions descriptives - une marque doit être distinctive, dans le sens "originale" - et que "blonde de Fucking" pour une bière blonde qui se réfère au village de Fucking est descriptif.
Donc cette marque ne protège pas grand'chose, et il pourrait hypothétiquement - et en pure théorie - y avoir, à Fucking, formation d'une brasserie qui, tant qu'elle recourt à un graphisme clairement différent, pourrait aussi appeler sa bière blonde Fucking Hell...

Quant au cybermédias franophones, une fois de plus, c'est à côté de la plaque...
Les Québécois de Cyberpresse se vautrent en beauté:
...en Allemagne, le mot Hell ne réfère pas seulement à l'enfer, mais il peut aussi décrire un type de bière light ale, produite notamment dans la petite ville autrichienne de Fucking.
Alors qu'il s'agit bien d'une lager blonde, hell signifiant pâle, et non légère "light", et une ale étant une fermentation haute. En plus l'énoncé est équivoque et peut laisser croire qu'il y aurait effectivement une brasserie à Fucking...

lesaffaires.com, site français, donne plus de détails de contexte, relève qu'il n'y a pas de brasserie à Fucking, et que la chose est le fait de deux experts en marketing. On frise le sans faute, si ce n'était la fausse bonne idée de vouloir explique ce qu'on n'a pas compris, et d'écrire doctement:
«Hell» est l’équivalent d’«Ale» en anglais, soit la dénomination d’une bière légère
Dans la traduction créative, c'est très fort, l'équivalence Hell = Ale...
L'anglais ale désigne quant à lui de manière générique les bières de fermentation haute, pas les bières légères, et hell signifie donc, comme mentionné ci-dessus, "pâle". Donc deux énormités en une phrase d'une douzaine de mots... (faut que je la signale à Ron Pattinson, celle-là...)

Bon, j'arrête de napalmer l'ambulance médiatique francophone, là... enfin, pour le moment.

samedi 27 mars 2010

Eve : bouillon en Allemagne, lancement en Grande-Bretagne et en Russie

En septembre dernier, j'avais mentionné les tentatives du groupe Carlsberg pour implanter cette infamie du nom d'Eve en Allemagne et en Grande-Bretagne, en visant là aussi un public jeune, et exclusivement féminin à l'aide d'un plan marketing plus ou moins interchangeable avec celui d'une marque de savonnettes ou de serviettes hygiéniques.

En Allemagne, la marque avait été lancée à l'été 2008 et semblait tenir. Sauf que.
Sauf que si l'on tente maintenant de se connecter au site web dédié, on n'arrive maintenant plus que sur une page blanche...
Si on regarde sur le site de Carlsberg Allemagne, Eve n'apparaît plus parmi les marques du groupe. Donc c'est plus ou moins clair : retrait.
C'est un fait : l'industrie, quelle qu'elle soit, ne communique pas spontanément vis-à-vis du grand public quand il s'agit de ses euh, échecs relatifs... à moins d'y être contrainte par la pression. Donc l'enterrement s'est fait en silence, par la porte de derrière, en espérant que personne ne s'en rendra compte...

En Grande-Bretagne, le test de trois mois à Manchester doit avoir été concluant, même si le site internet dédié est lui aussi aux abonnés absents...
 En effet, un article dans The Publican du 25 mars annonce que le groupe va injecter 3 millions de livres Sterling dans un lancement à l'échelle nationale avec Louise Redknapp (qui ça ? oh, une Britonne chanteuse à la retraite, reconvertie en épouse de footballeur à la retraite... un vrai modèle de réussite). Le test en grandeur réelle à Manchester aurait montré (je cite) que "les femmes l'emploient comme régulateur quand elles veulent freiner leur consommation d'alcool".
Bon, une Eve de 275ml à 3,1% d'alcool ça reste quelque chose de l'ordre de 15 grammes d'alcool pur, planqué sous pas mal de sucre, donc l'argument est quand même passablement spécieux.

A passage, en décembre dernier, Baltika, la succursale russe de Carlsberg, annonçait elle aussi le lancement de l'Eve en Russie. Là aussi, le blingbling semble être à l'ordre du jour pour séduire les devotchkas avec leur espèce de moloko plus...

Bon, et en Suisse ? Ben ça a toujours l'air de trop bien se vendre, si j'en crois le contenu des caddies à la Coop du coin le vendredi en fin de journée...
(A quand un groupe Facebook "Pour le retrait de la Cardinal Eve, cette insulte à nos papilles" , Mesdames ?)

N'empêche, le point principal est que la marque s'est pris un bouillon en Allemagne, montrant que la mercatique n'est pas toute-puissante. C'est un échec parce que la saturation au niveau publicité et distribution atteinte en Suisse par Carlsberg ne pouvait y être atteinte. En outre, le créneau des boissons mélangées à base de bière est sursaturée an Allemagne, et l'intérêt de la nouveauté est probablement retombé rapidement dans un contexte où la stigmatisation des buveuses de bière est faible...


Bref, Si la Russie est probablement du tout cuit, ça pourrait virer à la déroute en Grande-Bretagne, où la densité niveau publicité et distribution sera difficilement atteignable, et le créneau des prémix, alcopops et autres est déjà bien saturé... ce d'autant plus de nombre de brasseurs s'y sont essayés par le passé avec du rose-glucose-pour-dames sans jamais réussir à tenir la distance.

 

mercredi 24 mars 2010

Un choc pour la presse francophone !

Oui, la presse francophone vient de se prendre un choc majeur, qui ébranle les certitudes brassicoles clichéisantes de ses journalistes au plus profond : une lager, bière de fermentation basse, n'est pas forcément blonde, et vu que Guinness sort une lager noire, il ne leur est pas possible de l'ignorer. Alors que cela fait plus d'un siècle qu'ils ignorent joyeusement les Münchner Dunkles, Schwarzbiere, bières noires tchèques et autres Porters baltes... ou du moins ignorent leur vraie nature.
Il est vrai que beaucoup de dictionnaires anglais-français, ignorant aussi royalement la nature des choses, traduisent lager par bière blonde et ale par bière rousse, là où il s'agit simplement de termes génériques pour les bières de fermentation respectivement basse et haute
Wow. Quelle révolution culturelle...

Une dépêche AFP serait un des premiers relais en langue française de l'information  : Guinness sont en train de tester, en Malaisie et en Irlande du Nord, le potentiel de ventes d'une Guinness Black Lager. "Pour les buveurs qui trouvent la Guinness Stout trop épaisse"...

Bref, une fois de plus , c'est du foutage de gueule de haut vol de la part de Guinness, qui s'appuie sur un des nombreux mythes sans fondement qui entourent la marque.

Dussé-je le répéter encore et encore : pour une stout, la Guinness pression standard est tout sauf épaisse, elle manque de rondeur, de corps, d'intensité. En fait, beaucoup d'amateurs avisés en parlent déjà couramment comme étant très semblable à une lager noire, vu l'impression carrément aqueuse qu'elle laisse par rapport à nombre de stouts de densité semblable...

Bref, on peut légitimement se demander ce que Guinness ont bien pu trouver à retirer au niveau épaisseur en bouche...
Mais si ça a pu apprendre quelque chose à l'AFP, agence de presse notoirement ignare dès qu'on parle de bière, c'est tout ça de pris, positivons.

 

vendredi 5 mars 2010

Accords entre bières et plats : les bases en bref.

On a souvent l'impression que l'accord entre bières et nourriture relève d'un art à la limite de la sorcellerie. Pourtant les principes fondamentaux sont simples, et une fois qu'on les a assimilés, ce n'est plus qu'une question d'entraîner un petit peu la mémoire des goûts pour se constituer mentalement des "palettes" que l'on peut tenter de faire coïncider.

Fondamentalement, la bière a des atouts majeurs pour l'accord avec les plats:
  •  La bière est effervescente, ce qui permet de dégager les papilles, en particulier par rapport au gras et au piment.
  • La bière peut amener une amertume, qui peut couper court aux aliments longs en bouche (gras ou sucré, par exemple). Une acidité éventuelle peut jouer le même rôle.
  • La bière dispose d'une gradation dans la douceur qui offre beaucoup de nuances, permettant de s'adapter de manière flexible à des plats plus ou moins doux 
  • La bière dispose d'une très large palette de flaveurs spécifiques qui sont autant de points d'arrimage possibles avec les aliments.
Ce dernier point permet d'ailleurs de trouver facilement des bières s'accordant à des plats réputés relativement difficiles à accorder avec un vin, comme les asperges (qui s'harmonisent bien avec une triple, une blanche grand cru belge, voire certaines saisons) ou les desserts au chocolat (qui trouvent de bons compléments avec moult bières fortes noires ou brunes, avec certaines bières aux fruits, ou avec les notes de banane et de clou de girofle d'une Hefeweizen allemande).

L'accord entre bières et aliments peut se faire selon trois principes : compléter, contraster ou couper. Principes qui ne s'excluent d'ailleurs nullement l'un l'autre: au contraire, la plupart des accords jouent sur deux ou trois tableaux, l'un ou l'autre prenant le dessus. Par contre, si l'accord est vraiment désastreux à un des trois niveaux, il ne fonctionnera pas dans l'ensemble.

Compléter
Peut-être le plus difficile : on cherche à faire écho à un goût ou un parfum (appelés ci-après, pris ensemble, flaveurs) du plat avec une flaveur de la bière, flaveurs similaires ou s'harmonisant, avec le risque qu'une des deux soit trop intense et écrase l'autre.
Ce serait par exemple le cas en servant une Rauchbier (bière fumée au hêtre) avec une goulasch au paprika doux. 
Ou alors les notes d'agrumes typiques de certains houblons britanniques ou américains qui peuvent compléter harmonieusement des herbes comme le thym ou le romarin. 
De même, les notes moelleuses de croûte de pain frais de certaines bières rousses maltées s'harmonisent souvent bien avec le crémeux de certains fromages.

Contraster
Là, c'est plus simple : on vise à mettre en valeur l'aliment et la bière en créant un contraste qui souligne les deux goûts.
Un classique du genre est le service d'un porter bien trapu avec un stilton, fromage bleu britannique crémeux. La douceur du porter soulignera le salé du bleu, le côté mélasse-chocolat du porter contrant le corsé lié aux moisissure nobles.
On mentionnera aussi les bières au miel avec le fromage de chèvre, ou les blanches un peu citronnées avec les poissons blancs, qui fonctionnent sur un principe analogue de contraste.

Couper
Dernier cas de figure : employer la bière pour couper court au potentiel écœurant ou lourd d'un plat, en général en faisant usage de l'effervescence et de l'amertume, voire de l'acidité.
Un des classiques en la matière est la pinte de bitter légère, fruitée, houblonnée, avec des notes d'agrumes, qui accompagne à merveille le fish & chips britannique (filet de colin frit en pâte à beignet, frites, purée de petits pois) en coupant court au côté gras du plat.
De même une blonde belge forte, houblonnée et très effervescente fera merveille avec la cuisine thaïlandaise, coupant court à la morsure du piment, dégageant les papilles du lait de coco (gras) et de la capsaïcine (huile essentielle du piment), assez intense pour être plus qu'un simple rinçage et amener un accompagnement plaisant aux épices.
Du côté des desserts, une stout forte accompagnera en beauté un tiramisù, tranchant avec son grillé et son amertume à travers le gras et l'onctueux de la mousse au mascarpone.

Enfin, si le plat contient de la bière (voir les principes élémentaires de cuisine à la bière), on évitera de servir la même bière avec celui-ci - solution de facilité souvent rencontrée - car la bière dans le verre risque d'éclipser celle dans le plat. On se tournera plutôt vers les trois principes énoncés précédemment, en choisissant en accompagnement une bière plus légère, moins intense que celle contenue dans le plat... à moins que les autres ingrédients du plat exigent quelque chose de costaud !

Et surtout, si les premières tentatives ne sont pas fameuses, ne pas céder au découragement, mais plutôt essayer une autre bière avec le même plat... c'est en fait probablement une bonne idée de toujours prévoir au moins deux options bière pour chaque plat, ce qui permet de comparer, et donc de poser le problème de manière plus concrète qu'avec une seule bière.

Et maintenant, lancez-vous !