dimanche 5 septembre 2010

Fermeture de Cardinal - Redux

Bon ben quoi ? Fribourg est aux barricades à propos de la fermeture de Cardinal, et le FHL n'en parle pas ?

Si si, on arrive...
Avec une petite semaine de distance, les choses sont un peu décantées, e ton peut tenter de cesser de commenter à chaud pour voir un peu plus loin que les réaction épidermiques qui partent encore en tous sens.

La première chose à faire, que vous sachiez ou pas de quoi il retourne, est de lire le communiqué de presse de Carlsberg Suisse.
Cette lecture est nécessaire, non seulement parce que les faits y sont relatés en détail, et ensuite parce que c'est un morceau d'anthologie de langue de bois brassicole, assortie d'un dorage de pilule 24 carats sur le fait qu'il n'y a pas de licenciements secs, seulement des mises à la retraite anticipée (à partir de quel âge ?) et des propositions de replacement (où ? et quoi exactement ?)
Cette langue de bois permet de saisir l'état d'esprit qui règle chez Carlsberg Suisse: justification purement économique, décision prise, irrévocable, écoutilles fermées, prêts à affronter les vagues. Une logique discutable quant à l'interprétation des faits, mais qui se base néanmoins sur les faits.

Quand on compare cet état d'esprit avec celui de l'essentiel des supporters de Cardinal (par exemple sur la page Facebook "Sauvons Cardinal", où c'est le grand défouloir...) on se rend compte de l'abîme qui les sépare. Et en particulier du problème de perception des faits dont souffrent ces supporters, qui semblent ne pas avoir saisi l'évolution de ces vingt dernières années.
Du côté de Fribourg, on entend parler à tout bout de champ de patrimoine, d'une marque liée viscéralement à la ville, de plus de 200 ans d'histoire, de terroir, de "Cardinal fait partie de l'identité de Fribourg, comme le «Ranz des vaches», la bénichon et le HC Gottéron", etc. On nage dans l'identitaire le plus épidermique. De la tradition-cliché, opium du peuple parmi d'autres.

Le problème est que tout cela ne repose plus sur quoi que ce soit de concret.

La brasserie d'abord : en 1990, en tant que tête du groupe Sibra, oui, la brasserie Cardinal était ancrée à Fribourg de manière claire, était la brasserie régionale. Mais dès l'année suivante, avec le rachat par la Holding Feldschlösschen (FHH), la brasserie Cardinal n'est plus qu'un site de production, parmi d'autres, du groupe Feldschlösschen - et depuis 1999, de Carlsberg Suisse.

La marque ensuite : A l'époque de la Sibra Holding, en 1972, on dit que les maîtres-brasseurs des brasseries de Sibra Holding (Beauregard et Cardinal à Fribourg, Comète à La Chaux-de-Fonds, Salmen à Rheinfelden et Weber à Wädenswil), auraient, dit-on joué au jass pour savoir laquelle de leurs marques deviendrait la marque nationale de la holding, et que Cardinal avait décroché la timbale.
Mais Sibra étant basée à Fribourg, ce coup de canif dans le statut de brasserie locale de Cardinal était passé inaperçu à Fribourg... D'autant plus que la marque Beauregard, puis quelques années plus tard la brasserie du même nom disparaissaient, deux changements nettement plus visibles

De manière plus significative, suite à la décision de maintenir la production à Fribourg en 1998, Feldschlösschen puis Carlsberg Suisse ont fait un travail important de renforcement de la marque, la positionnant, à grand renforts de publicité et de sponsoring (de festivals, entre autres), comme une marque nationale "jeune", complémentaire du positionnement de Feldschlösschen comme marque nationale sur un créneau "tradition". Carlsberg Suisse a, en parallèle, maintenu de marques nationales comme Gurten, Hürlimann ou Warteck, mais qui sont produites à Rheinfelden et/ou Fribourg. Seule Valaisanne demeure au sein du groupe comme marque locale avec un lieu de production indépendant, à Sion, qui représente dix places de travail.

Bref, il y a un certain aveuglement là-dedans, et on peut légitimement se demander s'il n'y a pas quelques arrières-pensées électorales en arrière-plan, le comité "Sauvons Cardinal" étant issu des jeunes PDC fribourgeois, le PS est en embuscade derrière le syndicat Unia (cf l'intervention de Christian Levrat à la manif du 4 Septembre) - qui fait son boulot de défense des employés - et l'élu UDC (anciennement au Parti radical) Jean-François Rime ayant même lancé l'idée-miracle d'une "AOC Cardinal".

Oui, c'est cela même...
Ce dernier morceau de démagogie est révélateur de la tendance de nos jours de certains politiciens (l'excité en chef de la République Ploutocratique du Sarkozystan, au-delà de nos montagnes, en étant un bon exemple) à balancer en vitesse n'importe des âneries énormes, mais avec beaucoup de conviction, juste pour "montrer qu'ils font quelque chose".

Autant le dire tout net: une AOC, ou même une IGP, ne représente pas même le début du commencement d'une piste d'amorce de solution !
En premier lieu, une AOC (appellation d'origine contrôlée) ou une IGP (indication géographique protégée) s'applique à un produit typique d'une région et de son terroir. Et par "typique", on n'entend justement pas un produit interchangeable ou une lager blonde de masse. En outre, dans le cas d'une AOC, il faut que les ingrédients soient locaux, alors qu'il n'y a pas de malterie en Suisse, ni de producteurs de houblon en pays de Fribourg.
En outre, une AOC ou une IGP résulte d'une demande demandée par un producteur ou un groupement de producteurs, non par une collectivité territoriale. En l'occurrence, une demande d'AOC ou d'IGP devrait donc logiquement être déposée par... Carlsberg Suisse.
Enfin, et il y a un précédent en Grande-Bretagne avec "Newcastle Brown Ale", une IGP de l'UE, alors que la bière n'est plus produite à Newcastle, un producteur peut très bien décider de ne plus faire usage d'une AOC ou d'une IGP si c'est dans son intérêt.
Donc de prétendre qu'une AOC pourrait empêcher Carlsberg Suisse de produire les produits Cardinal hors de Fribourg, c'est soit d'une insondable ignorance, soit une instrumentalisation de bas étage des sentiments de son électorat (oui, Fribourgeois et Fribourgeoises, on vous prend manifestement un peu pour des crétins, en pensant que vous allez gober ça...)

Alors quelle solution ?

Les employés de Cardinal ont annoncé quatre pistes possibles. Les quatre visent à maintenir quelque activité sur le site, mais au sein du groupe Carlsberg. Certaines de ces pistes entérinant de fait le déplacement de la production des produits Cardinal à Rheinfelden. Avec le risque tout ce qu'il y a de plus réel que Carlsberg tire la prise à court ou moyen terme.

Non, s'il y a une solution viable à long terme, c'est de sortir du groupe Carlsberg, mais ça nécessite d'être prêt à boire le calice jusqu'à la lie. Et ça nécessite quelques politiciens qui ont le courage de poursuivre une vision, si lointaine-soit-elle, et de dire des choses pas forcément agréables à entendre, au lieu de naviguer à vue et de caresser l'électeur dans le sens du poil de son déni de réalité.
Être des milliers à se fourvoyer ou à se cramponner à des espoirs illusoires ne change rien au fait que ces espoirs sont illusoires... Opium du peuple, disais-je.

Concrètement, le site pourrait être repris par une coopérative, des investisseurs locaux, voire l'Etat ou la ville de Fribourg (pour mémoire, il y a toujours trois brasseries en Allemagne et deux en Tchéquie qui sont en mains étatiques, et qui se portent fort bien, car gérées en ne pensant pas qu'au profit à court terme...)

Un redimensionnement vers le bas serait probablement nécessaire, vu qu'il s'agirait d'en faire un producteur régional indépendant de taille moyenne, comme Boxer ou Felsenau. Soit un producteur qui livre sur un rayon de 50 à 80 km, pas beaucoup plus, pour pouvoir compter sur l'identification des consommateurs au produit local. Donc moins de tonnage, nécessairement, et moins de places de travail. (A titre de comparaison: Boxer compte 25 places de travail, contre 75 chez Cardinal aujourd'hui, et 225 à la première annonce de fermeture de Cardinal en 1996)

Ensuite, pour fidéliser le public, il y aurait un sérieux resserrage de boulons à faire sur les processus de production, en renonçant aux raccourcis et bricolages honteux (comme le  brassage et la fermentation à haute densité, par exemple) et aux petites économies sur les matières premières. À la limite, c'est probablement le point plus aisé si l'on dispose d'un personnel qualifié qui sait très certainement où appliquer ces quelques corrections pour redonner plus de caractère à la bière... oui, il suffirait probablement simplement de repasser les commandes de la production aux brasseurs.

La marque est une question plus difficile, Carlsberg Suisse ne lâcheront pas la marque Cardinal, dont ils ont fait une marque nationale trop précieuse pour être remise à un concurrent. Beauregard, non d'une brasserie fribourgeoise fermée par Cardinal dans les années 1970 serait une option intéressante, car elle jouit encore d'une certaine notoriété. Le problème est qu'elle appartient à Carlsberg Suisse, mais étant inutilisée, elle est peut-être négociable dans un accord global sur le site et la marque...

Oui, des emplois et une production de bière locale peuvent être sauvés à Fribourg, mais il faut sortir de la logique de défouloir, utiliser son cerveau plutôt que ses tripes, regarder les faits et les tendances du marché en face, même si ça ne correspond pas à nos idées reçues, penser en termes de développement à long terme, et déterminer clairement où on va et ce qu'on veut obtenir exactement.
Même si ça nécessite une correction de trajectoire un peu brutale, même si c'est un peu gonflé et qu'il faut y aller à fond, sans complexes.
Parce qu'en face, Carlsberg, ce ne sont de toute manière pas les complexes qui les étouffent...

En 2004-2005, la communauté rassemblée autour de la brasserie de Pedavena, en Italie, que Heineken voulait fermer, a réussi à sauver sa brasserie. Un modèle pour Fribourg ?

Que sera, sera...

PS: Oui, j'ai bel et bien dit que "Cardinal est la raison même pour laquelle autant de Romands pensent ne pas aimer la bière" à 20 Minutes. Mais ce n'était pas sur un ton particulièrement railleur, mais bien consterné par rapport à une catastrophe annoncée qui semble surprendre tellement de monde..

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bravo! Enfin un peu de bon sens dans ce flot émotionnel, on dirait une lager tiède qu’on aurait agité !

Tout le monde (dont quelques politiciens malins…) comprend bien la réaction des locaux qui s'identifient à leur région et à ce "point cardinal" que constitue la brasserie en la belle ville de Fribourg.

Mais franchement, amis Fribourgeois, vous la buvez vraiment, cette p.... infâme ? Quand j'ai vraiment soif et qu'il n'y a rien d'autre à dispo, je préfère encore me taper une "Prix Garantie". La « Crado », je la laisse à mes plantes vertes qui apprécient beaucoup sa teneur en sels minéraux… Parfois, je l’utilise pour mes cheveux, ça blanchit mais ça colle bien les tempes…

La remarque de Laurent au sujet des Romands traumatisés me parle beaucoup : j'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois, avant d'apprécier la bière, suite à une expérience particulièrement malheureuse avec une Spéciale, dans mes jeunes années...

J’espère que les habitants de Fribourg auront l’intelligence de développer dans ce haut-lieu des activités économiques, commerciales, culturelles qui feront rayonner la région. Il ne s’agit certainement pas de brasser de la bière en plein centre ville ! C’est un non-sens d’un point de vue économique et écologique.

Qui sait, Fribourgeois, un malin (un bon, cette fois, un mec qui ne vous prendra pas pour des débiles) saura peut-être combler le vide dans vos cœurs brassicoles, en développant une petite production de qualité, en employant vos hommes et vos compétences. Ce malin démentira aussi l’adage ma foi bien payernois qui ose prétendre que les « Fribourgeons » confondent la bonne Bière et certaines productions liquides de ces sympathiques animaux noirs et blancs, si typiques, qui peuplent les monts et vaux de votre beau Pays. (Je ne pense pas au lait ou à la double-crème, là…)

Exit Cardinal, sus aux privilèges cléricaux !
Qu’elle soit blonde, rousse, brune ou chocolat, place à …
« LA FRIBOURGEOISE » !!!

On entendra parler d’elle jusque au fond des bouis-bouis de ces mécréants de Protestants. Genève va trembler ! …. ;-)


Becs.
Syxx