mardi 30 mars 2010

Terrain glissant

Bon, vu qu'on commence à lire n'importe quoi sur le web francophone à ce sujet, posons quelques jalons sur l'affaire Fucking Hell...

Hier, 29 mars 2010, mon confrère bloggeur Barm citait les sites web du canard de caniveau britannique The Sun et de la radio-télévision autrichienne ORF se sont faits l'écho d'une décision de l'Office pour l'Harmonisation des Marques dans le Marché Intérieur (OHMI) à propos d'un recours sur un enregistrement, refusé une première fois, de la marque européenne "Fucking Hell" pour les classes 25 (vêtements, chaussures, chapellerie), 32 (bières et boissons sans alcool) et 33 (boissons alcoolisées à l'exception des bières) de la Classification de Nice (en entier : "Classification internationale des produits et des services aux fins de l'enregistrement international des marques établie en vertu de l'Arrangement de Nice")

Evidemment, Fucking Hell, en anglais, s'emploie plus ou moins dans les circonstances où on dirait "putain de merde" en français. Et c'est à ce titre que l'OHMI l'avait refusé une première fois, comme de nature à choquer.
Mais le déposant, un Berlinois du nom de Fellenberg, a fait valoir, via sa mandataire, qu'il s'agissait d'une bière blonde de fermentation basse (Lager hell ou Helles) se référant au petit village autrichien de Fucking. Argumentation qui semble avoir été acceptée.

Sauf que c'est du très grand n'importe quoi...

-  pour commencer, si la marque est supposée signifier "blonde de Fucking", l'énoncé est syntaxiquement boiteux. Il suffit de taper "Hell" dans le bidule de recherche d'un site comme RateBeer, pour se convaincre que, sur le modèle d'Altdorfer Hell, d'Altenrüthener Hell ou encore d'Andechser Hell, la forme la plus vraisemblable serait en fait Fuckinger Hell,  pour marquer d'un suffixe -er la notion de provenance. Mais bon, je veux bien qu'on puisse avoir affaire à une variante genre Aemme Hell.

- Si l'on n'en croit l'ORF - qui sont a priori assez bien placés pour en parler - il n'y a pas de brasserie à Fucking, et le bourgmestre n'a jamais entendu parler d'un quelconque projet d'établir une brasserie. Etant donné que le déposant est allemand, ça sent très fort le coup marketing fumant permettant de faire du pognon vite fait, mais les habitants de Fucking n'en verront pas la couleur. En soi, c'est très discutable.

- l'enregistrement OHMI ne semble pas poser de limitation par rapport au fait que la marque se réfère à un lieu géographique, donc que le produit devrait y être produit. Bon, si ma mémoire est bonne, la pratique quand une marque se réfère à un lieu, c'est au plus de limiter aux produits fabriqués dans le pays. Mais là, on dirait bien que dans les faits, cette bière, si elle devait un jour apparaître - car elle n'est pas encore sur la marché ! - pourrait être produite n'importe ou en Allemagne, par exemple.

- Les classes de produits et services enregistrées sentent aussi le coup marketing, en particulier, l'enregistrement pour la classe 25, qui indiquent bien que le déposant a déjà envisagé la possibilité de vendre des t-shirts, casquettes etc marqués Fucking Hell. le potentiel commercial est d'ailleurs indéniable...

Bon, il y a quand même un petit détail qui relativise le tout. Dans l'enregistrement OHMI, il y a, sous "type of mark" (type de marque, donc...) un "figurative".
C'est-à-dire que cet enregistrement ne protège en fait que le logo avec ce graphisme, mais ne constitue pas une protection donnant l'exclusivité des mots Fucking Hell eux-mêmes (on parlerait de marque verbale, dans ce cas). Pourquoi donc ?
Parce que la pratique en la matière exclut clairement d'enregistrer des expressions descriptives - une marque doit être distinctive, dans le sens "originale" - et que "blonde de Fucking" pour une bière blonde qui se réfère au village de Fucking est descriptif.
Donc cette marque ne protège pas grand'chose, et il pourrait hypothétiquement - et en pure théorie - y avoir, à Fucking, formation d'une brasserie qui, tant qu'elle recourt à un graphisme clairement différent, pourrait aussi appeler sa bière blonde Fucking Hell...

Quant au cybermédias franophones, une fois de plus, c'est à côté de la plaque...
Les Québécois de Cyberpresse se vautrent en beauté:
...en Allemagne, le mot Hell ne réfère pas seulement à l'enfer, mais il peut aussi décrire un type de bière light ale, produite notamment dans la petite ville autrichienne de Fucking.
Alors qu'il s'agit bien d'une lager blonde, hell signifiant pâle, et non légère "light", et une ale étant une fermentation haute. En plus l'énoncé est équivoque et peut laisser croire qu'il y aurait effectivement une brasserie à Fucking...

lesaffaires.com, site français, donne plus de détails de contexte, relève qu'il n'y a pas de brasserie à Fucking, et que la chose est le fait de deux experts en marketing. On frise le sans faute, si ce n'était la fausse bonne idée de vouloir explique ce qu'on n'a pas compris, et d'écrire doctement:
«Hell» est l’équivalent d’«Ale» en anglais, soit la dénomination d’une bière légère
Dans la traduction créative, c'est très fort, l'équivalence Hell = Ale...
L'anglais ale désigne quant à lui de manière générique les bières de fermentation haute, pas les bières légères, et hell signifie donc, comme mentionné ci-dessus, "pâle". Donc deux énormités en une phrase d'une douzaine de mots... (faut que je la signale à Ron Pattinson, celle-là...)

Bon, j'arrête de napalmer l'ambulance médiatique francophone, là... enfin, pour le moment.

3 commentaires:

Pierrot a dit…

Je préférerais croire que tu as posté ce sujet avec 2 jours d'avance ... no comment.

Laurent Mousson a dit…

Ben non c'est absolument véridique, bien qu'énorme...

Bov a dit…

Dans le même registre, une micro du canton de Schaffhouse (Brauage du Garage à la Plage, un nom qui ne s'invente pas...) à sorti la "Sch Eiss Bier", dédiée à l'ouverture des nouvelles WC d'un centre de culture de la région ...