lundi 31 août 2009

Universitaires québécois: dans le champ !

On a pu lire, dans divers médias et sur le Net (entre autres ici et , mais ça a été repris des douzaines de fois ailleurs) qu'une étude de l'Université de Montréal et de l'Université McGill (université anglophone de Montréal) portant sur 3'600 hommes âgés de 35 à 70 ans, démontrerait une corrélation entre la consommation quotidienne de bière et de spiritueux et six types de cancers (œsophage, côlon, poumon etc.) mais que cette corrélation n'existerait pas pour le vin.

Bien sûr, dans une partie des médias, le journaliste pressé par le temps étant ce qu'il est, la chose a été raccourcie en "la bière donne le cancer, pas le vin".

Mais bien sûr. Et puis quoi encore ?
Si c'était le cas, vu que la bière accompagne les civilisations humaines depuis quelques millénaires, les nations buveuses de bière auraient dû purement et simplement disparaître par sélection naturelle.

Cette étude est pavée de bonnes intentions, mais elle souffre, comme beaucoup d'autres, d'une myopie qui l'envoie droit dans le mur : le contexte n'est pas pris en compte. Ou du moins pas assez mis en exergue danslapublication des résultats.
Deux éléments de contexte en particulier : l'hygiène de vie des sujets d'étude, et les usages dominants, dans le pays de l'étude en matière de consommation d'alcool.

Au Québec, par la grâce du monopole de la SAQ, ainsi que par le climat un peu rude qui rend la viticulture difficile, le vin est un produit de luxe, relativement cher, consommé avant tout par des gens de niveau social plus élevé, surtout si on parle de consommation quotidienne. Cette couche-là de la population a tendance à manger plus sainement (pas de poutine quotidienne au menu), à ne pas fumer, à ne pas travailler en contact avec des produits chimiques divers...

Par contre, la bière et les spiritueux, sont, dans les habitudes de consommation des Québécois, les boissons populaires par excellence, consommées par toutes les couches de la population. Y compris le prolo de base, qui fume relativement souvent, mange moins sainement pour de simples raisons de coût, travaille dans des conditions plus dangereuses pour sa santé, etc.

Quant aux non-buveurs d'alcool, au Québec, vu le fond puritain anglo-saxon de la culture dominante (pas besoin d'avoir une tradition protestante pour ça, les cathos arrivent aussi très bien à être rigoristes...), ils sont pour l'essentiel aussi non-fumeurs et mènent une existence à la limite de la frugalité. (Comment? Mais bien sûr que je simplifie abusivement!...)

Si on veut bien enlever ses œillères, il est plus qu'évident que la consommation quotidienne de bière ne peut être avancée comme facteur unique de hausse du risque de cancer.
On touche là aux limites de l'approche scientifique quand elle devient tellement spécialisée qu'elle oublie de considérer l'humain - ou qu'elle ne le considère pas assez - comme un ensemble complexe de facteurs souvent paradoxaux... et aux limites de la capacité des médias à répercuter des résultats complexes autrement que par des raccourcis confortables, mais erronnés .

Bref, comme pas mal d'autres études avant elle, celle ci soit ne dit pas vraiment ce que les médiasen répercutent, ou elle est "dans le champ", comme on dit au Québec : à côté de la plaque. Et elle doit être dénoncée comme telle par toute personne en possession de ses pleines facultés mentales.

3 commentaires:

Rémi a dit…

Hello,

Je suppose que c'est de cette étude qu'il est question : Lifetime consumption of alcoholic beverages and risk of 13 types of cancer in men: Results from a case–control study in Montreal.

Bien que je sois évidemment d'accord avec toi dans les grandes lignes, c'est sans doute un peu rapide de dire que c'est l'étude qui est mal faite. L'abstract dit explicitement que les résultats ont été ajustés pour tenir compte des autres facteurs : il faudrait lire le texte complet du papier (je dois pouvoir me le procurer, si tu veux) pour être sûr et pouvoir critiquer leur méthode, mais c'est un peu faire insulte à l'esprit scientifique des chercheurs que de dire qu'ils ont été assez bêtes pour ne pas tenir compte de cela.

À mon avis, c'est plutôt encore un exemple de quelque chose de bien plus insidieux : des chercheurs publient un résultat et des journalistes l'interprètent comme un autre résultat, tout ça parce que l'article contient une ou deux petites phrases, en "à côté" du sujet principal. C'est pire, parce que fondamentalement personne ne peut remettre en cause la validité de l'étude initiale et qu'il faut au contraire contester l'étape qui est censée être transparente, cad la retranscription...

Laurent Mousson a dit…

Merci du lien. S'il y a une correction prise en compte, à la base, c'est bien. Quoique si je comprend bien l'abstract, on parle d'application de modèles mathématiques pour cette correction. Qui, autant que je comprenen quelque chose à la statistique, a toujou sune composante légèrement arbitraire, non ?

En même temps, tu relèves à juste titre l'effet pervers des médais qui répercutent ce qu'ils veulent, en fonction de leur perception et de leurs préjugés, ne comprennent pas le message pricnapl, alors se raccrochent à deux-trois phrases annexes (la remarque sur le vin, c'est typiquement ça...).

En outre, on peut aussi se demander si le monde scientifique ne fait pas parfois preuve d'un peu de naïveté dans sa présentation des études aux médias, ou n'appelle pas assez à la prudence par rapport aux conclusions hâtives.

Mais il est vrai que quand on présente au public une étude, vis-à-vis de ses bailleurs de fonds, on a intérêt à se montrer sûr de soi, et ne pas trop aligner les conditionnels et les mises en garde sur la validité du résultat. C'ets un facteur de plus susceptible de fausser ce qui est diffusée d'une étude.

Rémi a dit…

Hé, c'est toute la difficulté de la communication scientifique et de la vulgarisation, derrière cet exemple banal !

La méthode scientifique impose de prendre des pincettes, de mettre des conditionnels et de ne parler que de la toute petite brique qu'on apporte au mur de la science (ou même de la température à laquelle on pense qu'il faudrait faire cuire la toute petite brique pour qu'elle résiste mieux à l'usure due à la pluie, pour pousser un peu la métaphore !). À l'opposé, le grand public n'est pas à même de comprendre ces subtilités (et c'est pas un reproche !) et donc il lui faut des grandes idées, des nouveautés faciles à appréhender.

À mon sens, c'est un défaut de pas mal de médias de traiter la vulgarisation scientifique comme un domaine que n'importe quel journaliste peut faire, ça mène à des erreurs de ce genre. De l'autre côté, les universités essaient de corriger le tir via des communiqués de presse, mais comme ils restent scientifiques avant d'être journalistes, c'est pas gagné non plus...

Finalement, heureusement qu'il y a des critiques (genre ton article) pour mettre en lumière les trucs aberrants que les journalistes finissent par publier, que ce soit parce qu'ils n'ont pas compris de quoi il s'agissait ou que la recherche initiale soit biaisée (ce qui arrive aussi, évidemment).