dimanche 8 novembre 2009

Gin Lane & Beer Street

Bon, petite page de culture...

En 1751, L'Angleterre, Londres en tête était en proie à ce qu'on appelle rétrospectivement Gin Craze, à savoir une période de surconsommation massive de gin plus ou moins frelaté par la population des villes. Cette situation était le prolongement d'une législation mise en place à la fin du XVIIe Siècle, dans le but de maintenir les prix du grain en assurant l'écoulement des surplus sous forme d'alcool. Il s'était agi de bloquer les importations de vin et spiritueux français (ce qui profitera au Portugal avec la mise en place du commerce du porto et du madère, entre autres), et de délivrer des autorisations de distiller à tour de bras. La production avait bondi, et les "classes laborieuses" avaient pris l'habitude de consommer du gin en quantité.

Le gin étant donc un alcool blanc de grain originaire des Pays-Bas. L'aromatisation au genièvre (jenever en néerlandais, déformé en gin à l'arrivée en Angleterre) permettait de le vendre immédiatement, sans avoir besoin de le laisser mûrir en fût ou en bombonne. Au XVIIe Siècle, le gin était vendu à sa densité de sortie d'alambic (65 à 70% d'alcool / volume), sans contrôle de qualité. Par conséquent, il contenait souvent du méthanol (présent naturellement, et la raison pour laquelle la fraction du distillat qui sort en premier de l'alambic doit être jeté) ou des ajouts douteux comme de la térébenthine. Un produit nettement plus dangereux que le gin actuel, donc (quoique...)

Les conséquences étaient désastreuses. On estime qu'un quart de la population étant occupé à maintenir les trois autres quarts dans une dépendance mortelle à plus ou moins court terme, avec tout ce que cela supposait de misère et de criminalité plus ou moins violente comme corollaires.
Il a fallu pas moins de 60 ans pour que le gouvernement de Sa Majesté prenne conscience du désastre et prenne des mesures qui viennent effectivement à bout du problème, devant s'y reprendre à plusieurs reprises.
Les chroniques d'époque rapportent d'ailleurs des affaires d'un sordide qui dépasse tout ce qu'on a pu connaître au cours des quarante dernières années à propos de toxicomanie aggravée. Une des histoires les plus tristement célèbres est celle d'une certaine Judith Dufour qui, en 1734, retira son enfant de deux ans de l'asile pour pauvres où il avait reçu des habits neufs, l'étrangla, abandonnant le corps dans un fossé, avant de vendre les habits pour alimenter sa dépendance au gin.

Cette période noire de l'histoire Britannique devait donner naissance aux premiers mouvements de tempérance. Mouvements qui ne prônaient pas l'abstinence totale en matière de boissons alcoolisées - l'eau étant à l'époque le vecteur de nombreuses maladies, en boire signifiait une mort rapide, et le thé n'étant encore accessible qu'à une élite - mais bien le remplacement du gin par une boisson saine : la bière.
Il faut bien voir que quand on parle des bières du XVIIIe Siècle en Grande-Bretagne, on inclut les petites bières (small beer) issues d'un second rinçage des drêches d'une bière forte, et titrant 1 à 2% d'alcool.

La bière étant bouillie, additionnée de houblon - qui a une action bactériostatique -, fermentée, la levure occupant le terrain, et présentant un pH tel qu'aucune bactérie pathogène en peut s'y développer, la petite bière était une boisson de choix pour tous.

C'est dans cette perspective de lutte contre les ravages du gin et de son remplacement dans les habitudes de consommation par la bière que le peintre et graveur William Hogarth (1697 - 1764), déjà connu pour ses critiques acèrées de la société dans laquelle il vivait, produit deux gravures jumelles : Gin Lane et Beer Street, assorties de quelques vers.


Gin Lane, la ruelle du gin, montre un spectacle de misère, de pauvreté, de malnutrition et de maladie, où seul le prêteur sur gage se porte bien, dû au gin, alors que Beer Street, la rue de la bière, montre des gens prospères et en bonne santé buvant de la bière, le prêteur sur gage ayant dû fermer boutique.

Vouloir reprendre le motif tel quel actuellement serait une erreur, et il va de soi que l'excès d'alcool, quel qu'il soit est néfaste, mais il me semblait bon de rappeler que dans l'histoire de la civilisation occidentale, la bière a bel et bien été une condition de survie élémentaire des populations, et une boisson qui incarnait la tempérance. De nos jours, à une époque où la consommation d'alcool, même éclairée et modérée, est de plus en plus montrée du doigt, sinon criminalisée par des gens qui confondent prévention et prohibition, il est peut-être bon de rappeler ces quelques faits historiques.

- Plus de détails - en anglais sur Gin Lane et Beer Street sur Ouikipédiââhr.

- Pour l'amateur éclairé signalons les T-shirts etc portant des reproductions Gin Lane et Beer Street  disponibles chez RedMolotov.com

PS : Les petites bières, aussi appelées bières de table ont peu ou prou disparu de nos jours (à part quelques survivantes en Belgique comme les Piedboeuf) achevées au milieu du 20e siècle par la marche triomphante des soft drinks, Coca-Cola en tête.
Pourtant leurs atouts au niveau nutritionnel par rapport aux soft drinks modernes blindés de sucre sont tout à fait appréciable, au point qu'on peut en toute honnêteté se demander si la perception du risque lié à un 1,2 ou 1,5% d'alcool n'est pas du domaine de l'hystérie par rapport aux dommages sérieux (détraquement du métabolisme, diabète etc.) que peuvent infliger à un organisme humain - surtout s'il est en pleine croissance - les pics d'insuline à répétition liés à la consommation régulière, voire massive de boissons sucrées affichant des teneurs en sucres de 80, 120, voire 145 grammes de sucre par litre... (et non, les édulcorants de synthèse, c'est pas mieux, parce que les pics d'insuline se font pareil et y'a même pas de sucres à assimiler...)

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