samedi 16 janvier 2010

AB InBev : restructuration, grève, blocus... pénurie ? Pas de pénurie !

Les dix derniers jour sont été assez mouvementés pour le plus gros producteur mondial de bière, Anheuser-Busch InBev (ou AB InBev), le géant belgo-brasilo-étasunien propriétaire, entre autres, des marques Brahma, Bud, Hoegaarden, Jupiler, Labatt, Leffe, Stella Artois...

Positionné sur un marché en baisse de manière chronique, celui de la bière de masse, le groupe a annoncé il y a dix jours des suppressions d'emplois importantes. Les remous, certes attendus, ont été plus forts que prévus en Belgique et au Luxembourg...

Jeudi 7 janvier : Annonce de la suppression de 263 places de travail dans les unités de production AB InBev en Belgique, qui en comptent 2700. La justification est la baisse des ventes de bière en Belgique.

Vendredi 8 janvier : Confirmation qu'AB InBev va sabrer 10% de ses effectifs en Europe, soit 800 postes. Et que le site de Diekirch au Luxembourg va être fermé avec la perte de 60 postes sur 93, et la production des deux marques "identitaires" luxembourgeoises, Diekirch et Mousel, transfèrée en Belgique (cf. développement le lendemain dans le Républicain Lorrain).
Le Figaro annonce qu'au site de production de Jupille, une dizaine de membres de la direction ont étés séquestrés par les ouvrier le jeudi soir.
La RTBF l'annonce aussi, annonçant que les membres de la direction ont été libérés le vendredi en milieu de journée, mais annonce surtout que la brasserie de Jupille est complètement à l'arrêt, Louvain, partiellement arrêtée, qu'un blocus par les ouvriers empêche toute sortie de bière et toute entrée de matières premières aux deux usines, qu'il y a assez de matières premières premières pour tenir 36 heures à Louvain, et que les négociations reprendront mardi.

Dimanche 10 janvier : appel à la manifestation à Diekirch le lendemain.

Lundi 11 janvier : Pas de nouvelles. Heineken fait diversion en annonçant son rachat des activités de brassage du mexicain Femsa.

Mardi 12 janvier : Le Républicain Lorrain et Le Quotidien rendent compte de 1'000 personnes présentes à la manifestation de la veille à Diekirch. Mais l'ambiance n'est pas à l'optimisme (probablement vu la longue histoire de fermetures brutales de brasseries depuis les années 60-70 par Interbrew, devenue InBev après sa fusion avec AmBev, puis AB InBev en fusionnant avec Anheuser-Busch...)
Une dépêche Belga annonce que les chaînes de grands magasins ont des stocks pour deux ou trois jours. le mot est lâché : pénurie. Comme s'il n'y avait qu'AB InBev qui produit de la bière en Belgique !!!

Jeudi 14 janvier : Nord-Eclair relativise les rumeurs de pénurie.
Mais RTL est pas du genre à faire dans la dentelle pour vendre sa salade, donc annonce que les négociations ont au point mort et un "réel risque de pénurie". Ben voyons, faisons un peu mousser l'affaire, et tant pis si le consommateur est trop blaireau pour se rendre compte qu'il y aura toujours de la bière brassée par d'autres sur les linéaires de son supermarché... On apprend cependant dans cet article que si les sites de Louvain et Jupille sont complètement bloqués depuis 3 jours (je sais pas comment ils ont fait leur compte, là...) Hoegaarden l'est aussi depuis 2 jours. Donc arrêt total en Belgique.
Du côté du Luxembourg, il est question d'une solution proposée par le gouvernement pour maintenir l'emploi à Diekirch, à savoir d'une reprise par l'Etat, probablement.

Vendredi 15 janvier : La justice belge rend une décision selon laquelle les blocages de Jupille, Louvain et Hoegaarden sont illégaux et doivent être levés. AB InBev annoncent qu'ils ont reçu l'autorisation de prendre les mesures nécessaire spour mettre fin au blocage, mais annonce préfèrer chercher une solution négociée. Ah bon ?
Oui, ben ça cachait quelque chose : dans la soirée, Theo Flissebalje, un de mes petits camarades du mouvement de consommateurs de bière néerlandais PINT me signale que, face au spectre d'un carnaval (dans quatre semaines...) sans bière (ahem...) InBev Pays-Bas a annoncé qu'ils avaient des stocks de Jupiler, et qu'ils pourraient en produire sur le site de Dommelen pour approvisionner la Belgique si nécessaire. Et voilà la carte dans la manche : AB InBev peut laisser pourrir la situation en Belgique si nécessaire

Et qu'est-ce qu'on peut tirer de tout ça ?
Ben c'est un peu beaucoup un cas d'école du comportement des multinationales de la bière !
La bière de masse est en perte de vitesse constante et chronique, et ses tonnages ne pourront jamais être compensés par des bières de spécialité en ce qui concerne les très grosses brasseries, même s'ils décidaient de s'y mettre sérieusement.
Pour sauvegarder sa valeur boursière et rassurer ses actionnaires quant à leurs dividendes, AB InBev applique la bonne vieille recette de la restructuration.
Réaction syndicale dure et déterminée en Belgique, en soi assez remarquable. Mais la bête a les reins assez solides pour encaisser les pertes et jouer le pourrissement. Peu réjouissant.
Côté Luxembourg, l'option étatique reste apparemment sur la table et la seule vraie alternative à la fermeture. Diekirch rejoindrait alors trois brasseries allemandes (Hofbräuhaus, Rothaus, Weihenstephan) et deux tchèques (Budweiser Budvar et Primator) dans les rangs des brasseries en mains publiques.

Je vais faire mon sale gauchiste de service une minute ou deux : du point de vue de l'emploi et des dommages collatéraux aux communautés locales, c'est proprement désastreux.
Mais c'est le modèle même de développement des multinationales de la bière, leur structure lourde et centrée sur une monoculture, qui les rend incapables de se maintenir autrement qu'en fermant des unités de production et en supprimant des emplois. Parce que la tendance baissière en termes de bière de masse n'est pas près de s'arrêter, et que de vendre des marques plutôt que de la bière ne fait plus recette.
Il reste juste à espérer que les plans sociaux en cours de négociation permettront aux employés licenciés de rebondir. Pour la main-d'œuvre qualifiée, c'est probable, et cela pourrait nous valoir quelques micros-brasseries de plus en Belgique dans un proche avenir, au passage. Mais pour la main-d'œuvre non qualifiée, les perspectives sont nettement plus sombres.


Radieux mois de janvier que voici...

4 commentaires:

Nicolas Esprime a dit…

« Jupiler, la bière qui ne fait plaisir qu'à ses actionnaires »

Certaines personnes vous tiennent des discours anticapitalistes tout en buvant de la Jupiler... Alors, autant écouter ceux qui sont à la source de leur inspiration :

« Ce qui caractérise un grand brasseur, c'est qu'il est actif dans divers domaines. C'est ainsi qu'AB Inbev est aussi une banque et une agence immobilière. L'entreprise vend et loue d'innombrables services, tout comme elle nettoie les tapis ou remplit les distributeurs de préservatifs.

Une autre propriété, c'est que le produit en soi n'est plus un véritable différenciateur. "Cela dépend en grande partie de la vitesse de distribution, de la stratégie marketing correcte et de la promptitude de réaction, ajoute encore André Van Aken (program director Global ICT Risk Intelligence). Dans ce contexte, une simple imprimante peut même s'avérer un système critique à un moment donné." [...]

"Il y a encore d'autres éléments auxquels nous accordons beaucoup d'attention, ajoute Wim Willems (director IS/IT services Western Europe). [...] Saviez-vous que certains patrons de café notent encore leur commande sur un sous-bock? Il n'est dans ce cas pas évident de communiquer efficacement. [...] On ne pourra arriver à rien, si l'on continue à travailler avec des systèmes hétérogènes." »

(Frederik Tibau, « Datanews », hebdomadaire n° 1, 9 janvier 2009, ISSN 1374-4863)

Laurent Mousson a dit…

Excellent résumé de pourquoi InBev et ses semblables sont en perte de vitesse permanente et régulière : plus de crédibilité en tant que brasseur...

Nicolas Esprime a dit…

InBev rappelle 4.000 fûts de Stella à la Leffe (belga)

Nicolas Esprime a dit…

« Résumé : la Leffe telle que nous la buvons n’a jamais été brassée à Leffe, les moines se contentant de toucher des royalties. »
(Michel Visart, Hercule Poivrot chez AB Inbev)