samedi 20 février 2010

Ingrédients et taux de silice

La fameuse étude sur la silice dans la bière...
La chose a été reprise de manière dispersée par des médias francophones, mais de manière généralement incomplète ou erronée. Mais bon, il ne faut pas trop en attendre du journaliste francophone lambda.
Essayons donc d'y voir un peu plus clair.

En substance, depuis quelques années, dans les études sur la fréquence des cas d'ostéoporose (qui concerne donc principalement les femmes après la ménopause, bien qu'une certaine proportion d'hommes soit aussi touchés avec l'âge), une indication d'une possible influence positive de la consommation de bière à titre préventif. Donc diverses équipes de chercheurs creusent légitimement le sujet.
Deux pistes principales - qui ne s'excluent par ailleurs pas - ont été évoquées jusqu'ici pour expliquer ce possible effet positif de la bière : les phyto-œstrogènes, et la silice.

Les phyto-œstrogènes, présents dans le houblon (il n'y en n'a donc pas dans le vin, ajouta-t-il perfidement...), mais qui ne se retrouvent que sous forme de traces dans la bière (apparemment à l'exception des bières houblonnées à cru, mais une étude à ce sujet reste à faire), sont des molécules analogues aux œstrogènes - hormones féminines - qui auraient un effet palliatif à la décalcification découlant de la baisse de la production d'œstrogènes par l'organisme à la ménopause.
L'effet positif de ce côté-là serait donc limité aux femmes. (Désolé, les gars !)

La silice, par contre, est un minéral. En très gros, c'est du sable sous une forme plus fine. Si ce n'est que dans la bière, elle serait présente sous une forme assimilable pour l'organisme, donc a priori de nature à avoir un effet réel sur l'ossature des patients. Et des hommes comme des femmes, apparemment.
(Outre son rôle dans la structure des os, des études ont évoqué par le passé un effet sur la régulation du taux d'aluminium dans l'organisme, ce dernier étant considéré comme un facteur de risque de la maladie d'Alzheimer. Bonne nouvelle pour ceux qui boivent leur "verte" à même la cannette alu.
La silice est aussi réputé avoir un effet positif sur la chute des cheveux, mais à titre purement perso, je doute un peu, voyez...)

Le grand mérite de cette étude de Troy R. Casey et Charles W Bamforth (Université de Californie, Davis) parue dans le numéro de février du Journal of the Science of Food and Agriculture - dont on trouvera un bon résumé en anglais ici - est d'avoir pris en compte la bière dans toute sa diversité, et non juste la lager blonde de masse, pour tenter de déterminer quels ingrédients - ou processus - amenaient le plus de silice dans le produit fini. (M'est avis que ces deux-là doivent être amateurs de bonnes mousses à la sortie du labo.)
Du point de vue méthodologique, outre la recherche de la silice dans les matières premières de brassage, une centaine de bières commerciales ont été analysées dans le cadre de l'étude pour confirmer que les différences de taux de silice dans les ingrédients se répercutent dans la bière.

Leurs conclusions sont en substance :

- que les bières examinées présentaient entre 6,4 et 56.5 mg/l de silice (pour mémoire, les valeurs citées pour le vin sont de 10 à 20 mg/l, et on en boit généralement des volumes nettement plus faibles, vu son taux d'alcool double de celui des bières courantes)

- que l'enveloppe des grains de malt d'orge contient de la silice. Seule une petite partie de cette silice est dissoute dans le moût lors du brassage, mais c'est la source principale dans la bière.

- que les malts de blé et les autres céréales ou sources d'amidon (blé cru, riz, maïs etc.) qui n'ont pas d'enveloppe ou qui en sont débarrassés avant le brassage n'apportent pas de silice et font donc baisser le taux de celle-ci dans le produit fini.
On peut au passage en tirer la même conclusion pour les sucres de brassage.
A relever que le millet et le sorgho, présents dans certaines bières sans gluten et pas mal de bières africaines, modernes ou ancestrales, sont, eux, connus comme sources de silice.


- que plus un malt d'orge est foncé, moins la silice qu'il contient semble être extractible. Donc que les malts foncés influent négativement sur le taux de silice, mais dans une proportions moindre que le blé, le riz, le maïs etc.

- que les échantillons de houblon testés étaient plus riches encore en silice que les enveloppes de grains. Mais que vu les quantités très faibles en proportion de houblon entrant dans la bière, leur contribution au final reste assez faible, bien que clairement positive.
L'étude ne semble par contre pas avoir examiné les différences liées aux houblonnages en milieu d'ébullition, en fin d'ébullition ou à cru (dry hopping) en termes d'extraction de la silice.

Bref, que les bières les plus riches en silice sont celles qui ne contiennent que des malts d'orge, à l'exclusion d'autres malts sans enveloppe ou d'autres sources d'amidon ou de sucres,. Et de préférence des malts d'orge de couleur claire. Un bon houblonnage par-dessus ne gâte rien.

Et apparemment, si l'on pousse le raisonnement, plus la densité en solides issus du malt d'orge est importante, plus il y aurait de silice, donc les bières plus fortes  tant qu'elles seraient naturellement plus riches en silice ...tant qu'elles ne sont pas poussées - par exemple - au glucose!

Bon, si le lien entre les matières premières et le taux de silice dans la bière finie est établi par cette étude, le lien absolu entre la consommation de bière riche en silice et la prévention de l'ostéoporose, comme toujours lors de l'application réelle de découvertes en laboratoire, demandera probablement encore quelques études sur de larges échantillons de patientes et de patients sur de relativement longues périodes pour pouvoir être vraiment établi.
Disons qu'il s'agit d'un facteur de non-risque, à prendre en compte dans un paysage complexe...

Voilà... Messieurs, et surtout Mesdames, vous savez ce qu'il vous reste à déguster.
Et comme toujours, point trop n'en faut...

3 commentaires:

Rémi a dit…

Je ne voudrais pas pinailler, mais... je vais quand même pinailler :-) !

Je n'ai pas été vérifier dans un dictionnaire (et l'usage suisse est peut-être différent), mais en français-géologique, on parle de *la* silice (et du Silicium, si il s'agit de l'élément pur -- mais c'est quasi-inexistant naturellement).

À part ça, les doses que tu cites semblent en gros dire que bière ou vin, c'est pareil en terme d'ordres de grandeur...

Par ailleure, la page Wikipedia de Volvic indique un taux de silice d'environ 30 mg/L. Je ne sais pas si c'est exactement la même chose qui est mesurée, et je soupçonne Volvic d'être relativement plus riche en silice que d'autres eaux (même si elle est dans l'absolu peu minéralisée, c'est surtout que la plupart des eaux ont traversé des calcaires et sont très chargées en carbonates alors que Volvic vient de roches basiques, qui certes transmettent moins de minéraux, mais proportionnellement sans doute plus de silice).

Si on parle bien de la même chose et vu les chiffres que tu cites, cela veut dire que, bière, vin ou eau minérale (et sans doute eau du robinet aussi) jouent globalement dans la même catégorie en matière d'apports en silice, ce qui me rend assez suspicieux sur l'impact réel de la bière là-dessus.

D'un autre côté, il est possible que la silice dans la bière ne soit pas présente sous la même forme que dans le vin ou l'eau et soit du coup différemment absorbable et absorbée par l'organisme.

Bref, on est encore sans doute dans les travaux scientifiques de recherche et pas du tout dans le traitement médical ou le régime...

Laurent Mousson a dit…

Mais pinaille, mon bon, tu le fais bien. Bon, j'ai corrigé le genre de silice... autant pour moi.

Bière et vin, c'est pareil en ordre de grandeur, sauf qu'un verre de vin est la moitié d'un verre de bière, en termes de volume. C'est là que la bière a l'avantage. J'aimerais en fait bien voir le détail de l'étude pour vérifier le genre de taux de silice dans des bières à 10-12% genre doubles IPA, probablement plus pertinentes pour établir des comparaisons avec les vins.

Tu fais bien de relever la question de la forme dans laquelle la silice se trouve dans différentes boissons par rapport à leur absorption réelle par l'oorganisme. J'ai d'ailleurs relvé qu'une fois de plus, on a une étude en labo, mais que l'effet dans la pratique n'est pas établi pour autant...

PS : Volvic : laquelle de leurs sources ? Bon a priori, ça serait l'intérêt d'une au minérale par rapport à une eau de réseau...

Rémi a dit…

(J'ai l'impression que mon commentaire n'est pas passé la première fois, je ré-essaye, fais le ménage si ça fait doublon...)

C'est vrai, le volume de bière bue est plus important que celui de vin, ce qui mécaniquement multiplie les apports. C'est sûr que boire une pinte de bière à 50mg/L contre un verre de vin à 20mg/L, ça doit faire au moins 4 fois plus, ce qui est important. Mais si à côté de ma pinte de bière du soir, je bois dans la journée 1,5 L de Volvic à 30 mg/L, j'ai plus de silice qu'avec ma pinte à 50 mg/L...

Reste la question de l'absorption, oui. C'est toujours frustrant de voir des études sur un point précis comme cela, mais en même temps, c'est plus la faute aux journalistes qui essayent à tout prix d'en tirer des conséquences généralistes, alors que les scientifiques ne font qu'appliquer la méthode scientifique : tester pas à pas, essayer de chiffrer un par un tous les paramètres avant d'en tirer une conclusion. Quoique, les scientifiques sont aussi coupables en un sens, les intros/conclusions d'articles sont souvent de trop hâtives généralisations ou espoirs, qui n'ont pas grand chose à voir avec le sujet...

Il faudrait aussi savoir si il y a une dose limite (par exemple, je connais une maladie où la vitamine C en très forte dose semble avoir un effet, sauf que si on se contente de prendre des comprimés ou de manger des kiwis, l'organisme est incapable d'absorber plus de 1g/jour, je crois). Peut-être qu'une bière à 60 mg/L n'apporte rien par rapport à une à 40 mg/L...

Pour les chiffres de Volvic, j'ai pris sans vérifier ce que j'ai vu sur Wikipedia (je n'ai pas trouvé en 2 minutes de site avec des valeurs pour d'autres eaux, ce qui m'étonne un peu). Mais il serait facile d'aller faire un tour dans un supermarché et de lire les étiquettes.

À noter que l'eau du robinet est, de mémoire, globalement comparable à une eau peu minéralisée. Ça ne veut pas dire grand chose concrètement en ce qui concerne le taux de silice, mais il y a certainement des endroits où le robinet donne une eau au moins aussi riche en silice que de la Volvic (par exemple le village d'à côté...), donc le raisonnement basé sur Volvic s'applique sans doute pour n'importe quelle eau (en moyenne).