De 1936 à 1991, le marché Suisse de la bière était pour l'essentiel réglé par la Convention de l'Association suisse des brasseurs, qui établissait de fait un cartel. Dans les faits, la convention prévoyait, entre autres :
1. que chaque brasserie ait son territoire de distribution réservé et clairement délimité où elle dispose de fait d'un monopole.Le quatrième et le cinquième point ont clairement des buts protectionnistes, il faut y ajouter la clause qui est restée jusque dans les années 1970 dans l'ordonnance sur les denrées alimentaires, qui précisait que la bière devait être limpide, écartant de fait les Hefeweizen des concurrents bavarois.
2. que la distribution de bière sur la territoire d'un concurrent soit l'objet d'amendes sévères.
3. que seuls quatre style de bière étaient autorisés à la production : lager blonde, lager spéciale, lager brune, lager forte.
4. que les bouteilles de bière devaient avoir une contenance de 29cl ou 58 cl. Au départ, les bouteilles d'un pool officiel, marquées, chose qui s'est assouplie ensuite.
5. que les brasseurs étrangers ne pouvaient distribuer leur bière en Suisse que via le réseau de distribution d'une brasserie suisse.
Le troisième point a magnifiquement tué la créativité des brasseries concernées. Si, actuellement, les brasseries régionales alémaniques sont toujours plus ou moins incapables (sauf exceptions, par exemple Locher) de sortir des styles de bière "officiels" germaniques, ayant juste ajouté une lager blonde non filtrée et une Weizen aux catégories autorisées par le cartel, c'est bien là qu'il faut en chercher les causes.
Les deux premiers points, eux, ont eu pour effet qu'il était impossible pour une brasserie de croître sans se trouver contrainte de racheter des concurrents pour les fermer et reprendre leurs réseaux de distribution. Le cartel a donc provoqué une concentration
La cumul du premier et du troisième point a en outre, effet merveilleusement pervers, bloqué toute concurrence sur le terrain de la qualité. Le consommateur moyen se trouvait dans l'incapacité de pouvoir comparer, ou de pouvoir aller boire la bière d'un concurrent en face si celle qu'on lui servait n'était pas à son goût.
Quand la fin du cartel a été annoncée pour fin 1991, on s'attendait (cf par exemple l'émission "Echo" de la TSR à ce sujet) à une guerre des prix entre les deux plus gros acteurs du marché, Sibra (Cardinal) et Feldschlösschen. Cette guerre des prix n'est jamais arrivée. Sibra et Feldschlösschen ont fusionné avant la fin de 1991, et la concentration s'est accélérée, le groupe avalant Warteck à Bâle, Gurten à Berne, Löwenbrau et Hürlimann à Zürich... avant de se vendre à Carlsberg en 1999.
Calanda-Haldengut a de son côté, en Suissee orientale, été avalée par Heineken peu auparavant.
Un duopole s'est petit à petit dessiné, et nous y sommes de fait depuis 2008 : Heineken reprenant Eichhof, la dernière grande brasserie indépendante Suisse, et Carlsberg reprenant les activités de Kronenbourg suite à une OPA sur le plan international.
Actuellement, ce duopole tient un bon 70% du tonnage de bière consommé en Suisse, et de manière plus cruciale, une part plus importante, probablement de l'ordre de 90%, des cafés et restaurants, à travers des contrats d'exclusivité.
Et ce duopole n'a pas totalement perdu les réflexes de l'époque du cartel : quand un des deux annonce une hausse du prix de la bière, l'autre fait en général de même dans la semaine.
Et leus parts de marcher continuent, inexorablement, à baisser
Et à part les deux gros ? Il y a une vingtaine de brasseries régionales de taille moyenne (moins de 5% de part de marché, souvent moins de 1%), pour la plupart en Suisse alémanique et survivantes du cartel. Une exception intéressante est Boxer, fondée hors cartel en 1959, qui est toujours là, la seule de cette catégorie en Suisse romande.
De ce côté-là, les produits peinent encore à sortir des canons germaniques, des deux variétés de bière blonde assortis d'une brune et d'une forte
En outre depuis les années 1990, on voit un foisonnement d'auberges-brasseries (brewpubs, suivant l'exemple de la Fischerstübli de Bâle, fondée en 1973 en rébellion contre le cartel) et de microbrasseries. Le problème de tout ce petit monde est que, pour quelques producteurs qui tiennent leur rang face à l'élite mondiale, comme BFM ou Trois Dames, la qualité est souvent un peu limite, voire franchement foireuse (surtout côté romand) , ou le carcan des styles "officiels" est toujours là (surtout côté alémanique).
La situation actuelle est tout de même excellente, Les consommateurs de bière en Suisse ont, entre la production domestique et les importations, une diversité rarement vue à disposition, tant dans les bars que dans le commerce de détail.
Le problème est que pour en profiter, le consommateur doit un peu gratter au-delà de la surface, la plupart des bars et des magasins proposant le même océan de blonde de masse interchangeable.
Bref, lectrices et lecteurs, quand avez-vous pour la dernière fois activement cherché "autre chose" au rayon bière, en assumant aussi les conséquences, en particulier qu'un bon produit artisanal est plus cher ?
Le progrès accompli depuis la fin du cartel est notoire, mais un reflux est toujours possible...
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