mercredi 13 janvier 2010

Face au monstre

Dans la course au taux d'alcool le plus élevé en concentrant de la bière par congélation, Schorschbräu semblent, avec la sortie de leur Schorschbock à 40% (en fait 39.44%) avoir pris l'avantage sur BrewDog avec leur Tactical Nuclear Penguin à 32%

On était resté sur : est-ce que ces monstres-là sont buvables ?
Là, j'ai un début de réponse...

Par la grâce de l'ami Bov qui en a amené une bouteille lors de notre dernière dégustation en petit comité, j'ai pu déguster la Tactical Nuclear Penguin de BrewDog.


La bête est livrée dans une bouteille de 33cl capsulée, cachée dans un sac en papier kraft orné d'un pingouin et d'un "32%" tracés au marqueur noir. La pique en direction des autorités sanitaires et des milieux de la prévention écossais et de leur réactions disproportionnées à l'égard de Brewdog est évidente: cachez ce liquide que je ne saurais voir...

Issue d'une stout impériale passée successivement dans deux fûts de whisky, puis concentrée à plusieurs reprises dans un processus de fractionnement par congélation - jouant sur le fait que l'alcool a un point de congélation plus bas que celui de l'eau - la bière a une belle couleur acajou foncé, parfaitement limpide.
Et elle est parfaitement plate, ce qui n'est que bon sens, vu que la bouteille ne saurait être vidée en une fois. A cinq, nous en avons dégusté les deux tiers, soit dans les 4 cl par tête. On aurait juste apprécié un bouchon qui se referme plutôt qu'une simple capsule...

Dans le verre, la densité du liquide est assez évidente. Il s'écoule sur les parois du verre comme un sherry ou un porto.
Au nez, c'est énorme. Beaucoup d'alcool, et un alcool brûlant, accompagné d'un malt foncé sec, légèrement rôti et chocolaté, d'un fort fruité semblable à un brandy, et de notes de bois, de vanille, de sirop d'érable.

Au palais, c'est aussi joliment intense riche, rond, relativement épais, mais pas vraiment sucré, ni collant, sirupeux ou huileux  - la congélation précipitant les protéines - et l'alcool est très en retrait. Le goût est complexe, une base de malt grillé, avec de la vanille, du bois, un peu de brandy, et une note saline rappelant la sauce soja - note relativement courante dans les stouts fortes, surtout après quelques années en cave. Cette note saline rend l'ensemble agréablement sec, une petite touche d'acidité finissant d'équilibrer la petite douceur de fond.
Une amertume se fait sentir de manière assez surprenante sur le devant de la langue.
Ce n'est que quand on avale que l'alcool se fait vraiment sentir, dans la gorge, par une agréable chaleur, pas agressive.


Au bout du compte, c'est très buvable, presque gouleyant, plaisant, chaleureux, pas trop lourd, pas surpuissant, même si ses effets sur le cerveau quelques minutes plus tard sont parfaitement nets.
Dans une approche contemplative, le monstre glisse bien, mais s'approche nécessairement avec respect, vu l'épaisseur et l'intensité. Sans mentionner les £30 quil faut aligner sur le comptoir pour une bouteille...

Ah, et l'autre question qui tue : est-ce que c'est encore de la bière ? Oui, c'est est. Pas de doute, c'est plat, mais il n'y a pas de doute qu'il s'agit d'une boisson à base de malt, qui renferme encore des solides issus du malt.

PS : au début de la même dégustation, l'ami Pascal de Neuch' avait amené une Nanny State de BrewDog, la brune à 1,1% produite par Brewdog en réponse aux accusations délirantes d'incitation à l'abus d'alcool lancées par les milieux de la prévention écossais suite au lancement de leur Tokyo* à 18,2% l'été dernier. La Nanny State est très mince, avec un malt rôti perceptible et qui revient de manière spectaculaire en arrière-goût, et donne surtout l'impression d'un thé de houblons, avec 225 unités internationales d'amertume (IBU) sur le papier, soit environ 15 fois la dose de houblons qu'on trouve dans une lager blonde de masse. Bref, ce n'est pas équilibré, mais pas du tout, mais pour le lupulomane impénitent que je suis, c'est un délice...

5 commentaires:

Nicolas a dit…

Ouh la la!!!
Sans avoir eu la chance de goûter ça, y en a des choses à dire.
Premièrement, pour ce qui est de la Tactical Nuclear Penguin, ce qui me titille, c'est qu'on parle beaucoup de la définition de ce qu'est la bière quant aux ingrédients qui la composent et on s'arrête au fait que c'est fermenté point.
Je trouve ça quelque peu réducteur et même si je ne m'oppose pas à ce type de produit, je pense que là il serait vraiment bien que la brasserie doive mentionner la technique utilisée (pour autant que ce ne soit pas fait bien sûr). Car il y a quand même une réelle manipulation et pour moi c'est pas une bière à 32% mais une bière concentrée! Ce qui est très différent!!!
S'y opposer non, mais que ça anime des débats est sain.
Pour l'autre bière que vous avez testé, je comprends tout à fait ton commentaire sur le "lupulomane"!
Par contre stop à la démagogie publicitaire ça commence à devenir gonflant!!!
Je parierais assez cher qu'il est impossible d'atteindre de telles unités d'amertume. Ok ils en balancent une craquée qui correspond aux jolies formules de calculs de degré d'amertume, mais quand on pense au pourcentage d'"efficacité" de l'isomérisation durant la cuisson des acides alpha (dont le principal étant l'humulone), et du fait de l'équilibre qu'il y a un équilibre dans ce genre de réaction, ça paraît fort peu probable!
Sinon ça signifie qu'il la bidouille...
D'autre part sous l'angle organoleptique, on peut ajouter beaucoup de houblons, surtout à cru, pour renforcer les arômes et en trouver de ceux qui s'échappent pendant la fermentation principale, mais pour ce qui est du goût, il est clair qu'à partir d'une certaine amertume il y a saturation sensorielle, voire même anesthésie avec l'amertume.
Donc en plus c'est plus utile...
Encore une fois sans avoir goûté ces produits, il semble que le brasseur est un amoureux des chiffres et des performances!!!
Ou qu'il veut faire parler de lui et ça marche...

Laurent Mousson a dit…

Nicolas, je ne peux que t'encourager à relire ça :
http://libieration.blogspot.com/2009/11/jusquou-aller-trop-loin.html

et ça :
http://libieration.blogspot.com/2009/12/la-mienne-est-plus-forte-que-la-tienne.html

parce que j'y couvre à peu près tout ce que tu soulèves ici, en particulier l'amour de BrewDog pour la provoc' publicitaire, et le est-ce que c'est de la bière lié au fractionnement par congélation...

Concernant les 225 IBU de la Nanny State, c'est pas un hasard si je dis "sur le papier"... c'était pas l'endroit pour rentrer dans le détail sur la question du rendement effectif du houblonnage. Mais on en causera à l'occase, parce que la course aux armement au-delà de 80 IBU n'amène pas grand'chose.

Pierrot a dit…

Hello tout le monde.
Je suis surpris par le fait que tu es trouvé la Tactical facile à boire. Dans celle que j'ai testé(batch 2 également), une amertume des plus désagréables(rien à voir avec l'amertume rencontrée habituellement dans la bière) m'a énormément écoeuré, rendant cette bière quasiment imbuvable. Je me demande de plus en plus si notre bouteille n'avait pas un problème ...

Laurent Mousson a dit…

Facile à boire en fonction de son taux d'alcool... c'est pas le truc hyper-épais et sirupeux. Je vois plus ou moins ce que tu entends par cette amertume => un petit côté latex ? L'ayant rencontrée dans pas mal de stouts impériales, passées en fût ou non, je dois dire que ça ne m'a pas dérangé outre mesure...

Pierrot a dit…

Exactement, c'est un côté "latex". Je dis souvent "caoutchouteux". Je n'aime pas du tout cette amertume pour ma part. Mon problème avec la Tactical est que je suis également passionné de whisky et j'ai trop tendance à comparer cette bière avec un whisky ... à cause de son %.