mercredi 16 décembre 2009

Nowëlll, Nowëlll, choli Nowëlll...

L'avantage des systèmes de veille Internet, même les plus spartiates, c'est que, tels les marées, leur ressac ramène des épaves et autres débris flottants à la surface du Grand Cyberfoutoir Planétaire. Et que quelquefois ces débris flottants donnent une étrange impression de déjà vu...

Quand j'ai aperçu ceci parmi les remous et l'écume, sur le site AuFéminin.ch (tout un programme, déjà), ces assertions foireuses sur la prétendue origine norvégienne des bières de Noël, avec une recette signée Sonia Ezgulian, ça sentait fortement le recyclage, et le texte d'origine n'était pas très loin sous la surface, à savoir sur l'Alsace.fr daté du 26 novembre, manifestement un copier-coller d'un dossier de presse où la source est indiquée : Brasseurs de France, l'association professionnelle des brasseries françaises.
(Ben oui, il n'y a qu'eux pour écrire systématiquement "Brasseur" avec une majuscule...)

Bon, le recyclage c'est une chose, mais le traitement "presse féminine" est assez édifiant, avec un texte abrégé et trfufé de fuates de frpape, sous un titre au jeu de mots bien poussif - "ça mousse avec la bière de Noël", quelle originalité! ça mérite citation, tellement c'est bô :
Le saviez-vous ?
La bière de Noël est née en Norvège où elle se dégustait en  hommage aux dieux lors de la feête de Juol (fête vikin qui célèbre le solcstice d'hiver). Au Moyen-Age, la période de Noël était un temps fort du calendrier brassicole dans les abbayes om l'on fabriquait la mielleure bière de l'année. La tradition s'est étendue aux Brasseursqui , à la vaille des fêtes de fin d'année, offraient la Bière de Noël à leur personnel  et à leurs meilleurs clients. Aujourd'hui, les Brasseurs, fidèles à cette tradition de Noël, proposent chaque année une bière riche en goût, fruitée et moelleuse, portant en elle savoir-faire et générosité.


En outre, des quatre recettes contenues à l'origine dans le topo des Brasseurs de France, on ne garde que celle qui ne contient pas de bière comme ingrédient, et on ajoute un petit sondage au-dessous, qui pose une question vitale: "Avez-vous déjà goûté la Bière de Noël ?"

Euuuh, laquelle, de bière de Noël, en fait ? ben oui, il y en a des dizaines... et si en France et en Belgique, la tendance est aux ambrées et brunes sirupeuses blindées d'épices, dans la tradition allemande, il n'y a pas d'épices, et les gammes de bières de Noël britanniques et scandinaves ratissent encore plus large, et on y assiste à une certaine lassitude face aux soupes d'épices pour "faire Noël".

Bref, on est une fois de plus dans le superficiel prédigéré parce que ça s'adresse à un public féminin... le dossier de presse des Brasseurs de France, s'inscrivant dans une approche culinaire, s'adressait déjà à priori à un public féminin (la mythique ménagère de moins de 50 ans chère à TF1), mais il était apparemment encore trop compliqué pour la capacité d'attention du public-cible.

Ceci dit, bien qu'allant dans un sens éminemment intéressant, c'est -à-dire de redonner à la bière ses lettres de noblesse à table, cet historique des bières de Noël des Brasseurs de France est ne merveille de langue de bois et de demi-vérités. Je cite:
Elle est née en Norvège, où elle se dégustait en hommage aux dieux lors de la fête de Jol (fête viking qui célèbre le solstice d'hiver). La mythologie voudrait qu'Odin, dieu de la Guerre et de la Poésie, ait livré les secrets de fabrication de ce breuvage légendaire aux hommes. 
 Cette origine norvégienne de la bière de Noël est éminemment douteuse sur le plan historique. Premièrement parce qu'elle implique que la bière de Noël a été inventée à un endroit puis s'est répandue de là vers le reste du monde. Il est en fait beaucoup plus probable que cette habitude de faire des brassins spéciaux pour les fêtes soit née de manière indépendante dans diverse régions du Nord de l'Europe.
En outre, la Scandinavie ayant été christianisée après les Îles Britanniques et le continent, il est très peu probable que la bière de Noël y ait été "inventée". Des bières pour les festivités liées au solstice d'hiver, il y en avait certainement, mais une population non christianisée qui soi-disant produirait une bière pour une fête chrétienne, là, j'ai de la peine à suivre côté logique...

Mais bon, la Norvège, du point de vue marketing, associé à Noël, c'est très vendeur, même si ça implique de se référer à une mythologie païenne. Et on s'en fiche, de la fête chrétienne, il s'agit probablement ici de se réclamer d'une prétendue authenticité pré-chrétienne - ancrée dans de jolis clichés rousseauisants de bons sauvages vikings vivant en harmonie avec la nature - pour mieux toucher les bobos.


Quoiqu'il en soit, si on lit ça sans débrancher préalablement son esprit critique, ça ne peut que paraître grotesque.

Continuons :
Au Moyen Age, la période de Noël était un temps fort du calendrier brassicole dans les abbayes, où l'on fabriquait la meilleure bière de l'année. Les premiers froids de l’automne assuraient les conditions d’un brassage idéal. 
 Et hop, on glisse en douce les mythiques brasseries des abbayes médiévales.. Implicitement, on la ramène avec la prétendue filiation directe des bières d'abbaye commerciales actuelles avec les bières médiévales des monastères. Filiation que l'on sait relever du plus pur folklore commercial.
Ensuite, la simultanéité implicite entre "période de Noël" et "premiers froids de l'automne", s'il correspond bien aux pratiques commerciales actuelles, me semble très douteux dans un contexte médiéval.
Puis la tradition s’est étendue aux Brasseurs qui, à la veille des fêtes de fin d’année, offraient la Bière de Noël à leur personnel et à leurs meilleurs clients. Les Brasseurs, fidèles à cette tradition de Noël, proposent chaque année une bière riche en goût, fruitée, moelleuse, portant en elle savoir-faire et générosité.
Alors ça, c'est le joyau de la couronne, le brin de houx sur le christmas pudding. On laisse entendre à Gérard Lambda, celui qui achète son pack de Kroneken de Noël chez Carouf', que quelque part, il fait partie, par cet achat des "meilleurs clients" de la brasserie, et que la brasserie lui fait ce cadeau pour son petit Nowëlll...

Et le pire, c'est que ça marche. Gérard Lambda va en acheter, de la bière de Noël. Et un paquet.

Va-t-il vraiment la servir à Noël, par contre ? et Ginette Lambda va-t-elle cuisiner avec ? Allez, on peut rêver...

7 commentaires:

Nicolas a dit…

Au moins tu pourras pas dire que dans cet article tu n'as pas appris des nouvelles choses tant ces déclarations sont inexistantes dans la littérature brassicole!!! ; )
Perso ce qui me gonfle de plus en plus et qui est un point commun entre toutes les brasseries, qu'elles soient de petite ou grande taille, c'est la mise en avant du "tout leur savoir-faire"!
Pourquoi, les autres brassins sont faits à moitié???
Et si vraiment elles étaient un summum gustatif, pourquoi nos chers brasseurs ne les font pas tout au long de l'année?
Comme dirait Didier Super "y en a des biens" (tiens ça me rappelle un concert à Ouchy), mais faut franchement avouer que dans bien des cas, comment dire, c'est pas mirobolant! Attention je ne confonds pas avec les brassins saisonniers qui eux ont un une raison d'être, certains goûts s'inscrivant mieux à certaines périodes de l'année.
Prenons par exemple la bière de Noël d'une brasserie qui me tient à coeur (un peu moins depuis les fruitées mais bon): St-Feuillien. Franchement la version de Noël est moins fine et délicate que la brune standard.
Et pis tout ce business et marketing écoeurants autour de cette merveilleuse fête de l'amour,du partage, de la générosité (y a pas un truc antinomique dans la phrase non?), plutôt que de me rendre tout confit et tout mielleux, ça me pousse à devenir amer... Du coup si on s'offrait un verre de Père Noël de De Ranke?...

Laurent Mousson a dit…

Ouais, mais attention, dans le cas de Saint Feuillien, y'a une partie de la production qui est sous-traitée... si on cherche dans le Good Beer Guide Belgium de Tim Webb (édition 2009), on y apprend que, bien qu'il y ait un mouvement vers un rapatriement de toute la production à la maison mère, il y a encore une partie de ce qu'ils vendent qui est brassé ailleurs. Les Grisette viennent de chez Heineken, et une partie des bouteilles serait toujours produite chez Du Bocq... Donc des différences de goût sont inévitables entre ce qui vient de chez eux et ce qui vient de chez Du Bocq.

Quant aux écoeuranteries de Noël, je crosi que tout a été dit par Mononc' Serge :
http://www.youtube.com/watch?v=sko-8_RW6lw

Nicolas a dit…

Je veux bien et je le concède,d'autant plus que je le savais. Mais quand un brasseur met son nom sur une étiquette, il joue sa notoriété et honnêtement des excuses de capacité de production je n'en ai que faire...
Même si la brasserie est très honnête et que lors de ma première visite elle ne faisait pas encore de différence d'appellation entre la blonde et la triple en précisant clairement que le blonde 33cl était brassée chez Du Bocq et àpartir de la 75cl c'était chez Friart à Le Roeulx.

Rémi a dit…

En fait, ce qui m'agace le plus dans les bières de Noël, c'est cette tentative de faire croire que c'est un produit spécial et unique, un peu comme le sapin (on ne met pas de sapin décoré dans son salon à d'autres moments qu'à Noël). Alors qu'au final, ça n'est qu'une bière un peu différente de la recette habituelle de la brasserie, brassée sans doute initialement tout l'hiver, ou bien tout autant brassée pour d'autres occasions que pour Noël. Il n'y a rien dans ces bières qui soit véritablement "de Noël", sinon le marketing (qui cherche à profiter de l'image de consommation que Noël a maintenant -- je ne leur reproche pas, ils ne font que suivre la tendance, ça n'est pas eux qui l'ont inventée...).

L'autre problème que j'ai avec les bières de Noël, c'est qu'étant devenu, justement, un objet marketing, plein de brasseries en font sans que cela corresponde à une vraie "recherche brassicole", à un vrai produit travaillé. Ce qui corrompt encore plus l'image, parce qu'au final la plupart (en terme de visibilité dans les magasins) des bières de Noël sont au mieux des trucs quelconques à peine différents des bières habituelles, au pire des bouillons d'épices imbuvables (un peu comme les vins chauds, d'ailleurs... en général, quelle horreur ces trucs...).

Bref, pour moi, étiqueter une bière "de Noël" est à peu près la meilleure chose qu'une brasserie puisse faire pour ne pas me faire acheter sa bouteille. Même une bouteille de forme bizarre et en verre blanc me rebutera moins :-)

Laurent Mousson a dit…

@Nicolas : "Mais quand un brasseur met son nom sur une étiquette, il joue sa notoriété et honnêtement des excuses de capacité de production je n'en ai que faire..."

Il ne s'agit pas d'une excuse, il s'agit de relever une réalité de production, et, au moins, St Feuillien sont transparents... parce que le nombre de bières qui sont produites en douce chez De Proef, par exemple...

Ensuite, c'est une question de goût personnel. Perso, je dois dire que le goût belge m'ennuie d elsu en plus... ;o>

Toine a dit…

Allons allons Laurent, qu'est-ce que tu qualifies de goût "belge" déjà, hein? ;)

Sinon, concernant les bières de Noël, c'est clair que pas mal sont des versions édulcorées et épicées à outrance de brassins 'classiques', mais il y a tout de même des brasseurs belges 'respectables' qui prennent le temps de développer quelque chose d'original et d'intéressant pour la fin d'année, et j'avoue apprécier ces bières 'saisonnières' brassées à titre exceptionnel. Ma découverte 2009 est sans contexte la ZinneBir Xmas de la Brasserie de la Senne, bière de Noël 'atypique' vu son absence de sucre et d'épices. D'autres produits excellents (dans la même veine atypique, qui privilégie amertume et caractère plutôt que le sucre et les épices) testés récemment : la Rulles Cuvée Meilleurs Voeux et la Père Noël de De Ranke. Sinon, j'apprécie également une bonne Stille Nacht des Dolle Brouwers de temps en temps!

Laurent Mousson a dit…

Ah ben tiens, Brasserie de la Senne, Rulles, De Ranke, c'est clair que c'est pas de la brasserie belge qui ronronne en se regardant le nombril.
Là, on est bien d'accord, le retour de l'amertume dans les bières belges est plus que bienvenu, ne serait-ce que par rapport à la diversité supplémentaire que ça apporte ! ;o)

Dolle Brouwers non plus, d'ailleurs, sont pas du genre qui ronronne... la Stille Nacht est elle aussi assez loin du plan "soupe d'épices", et c'est clairement une cuvée spécifique avec une mise au point bien aboutie...