mercredi 30 septembre 2009

Mission spéciale à Bruxelles. Episode I


Silence radio sur ce blog pendant quelques jours, dûs à une descente à Bruxelles et le besoin de s'en remettre un peu...

Bruxelles, dans l'imaginaire du buveur de bière moyen, c'est l'Eldorado, l'astre solaire, le lieu de pèlerinage où tout n'est que délices dans une vallée où coulent le lait et le miel... enfin, un truc sublimé du genre.

Oui, on y boit de bonnes choses sans trop batailler, certes les bars à bières foisonnent, et leurs menus sont kilométriques... mais il vaut mieux ne pas trop gratter sous la surface...
Parce que fondamentalement, une trop grande partie du petit monde de la bière en Belgique est en roue libre, vivant principalement sur sa réputation, sans trop l'alimenter ou l'entretenir...

La majorité des bars spécialisés bruxellois servent sans discrimination les pires concoctions industrielles - aromatisées ou non - aux côtés de produits réellement artisanaux, sans bien différencier. Les bières d'étiquette au lieu de brassage et au pedigree peu clairs y sont aussi monnaie courante... Quant aux brasseries artisanales, si on y compte effectivement une partie appréciable de bières excellentes ou exceptionnelles, il y a des scories, des choses irrégulières voire franchement déficientes sur le plan technique.
Et même que c'est vrai et qu'il faut le dire : c'est pas parce que c'est une bière artisanale qu'il faut obligatoirement en dire du bien !
Les listes à 400, 800, 1'000 bières et plus impressionnent leur monde, mais elles contiennent beaucoup de ballast, de bières peu mémorables, et posent des problèmes sérieux de gestion du stock, tant pour assurer que tout ce qui est au menu soit effectivement en stock, et qu'il y ait un roulement suffisant pour éviter de servir des bières passées, dégradées par le vieillissement.

Et puis, il y a quelques endroits d'exception. Le Musée Bruxellois de la Gueuze, par exemple, à Anderlecht, plus connu sous le nom de Brasserie Cantillon. Une brasserie-musée en pleine activité, que mon ami Kuaska, éminent spécialiste de la fermentation spontanée, appelle par boutade "i talebani della gueuze" (les talibans de la gueuze).
Jean Van Roy, et avant lui son père Jean-Pierre, ont mené et mènent toujours une lutte pour maintenir la brasserie à son emplacement, avec sa flore bactérienne spécifique, et sa faune d'araignées prédatrices de drosophiles, malgré les services d'hygiène à la perspective étriquée, malgré l'urbanisme anarchique et les "réaménagements" destructeurs du quartier derrière la gare du Midi*, et malgré la force de frappe des grandes brasseries qui ont imposé une pseudo-gueuze doucereuse dans l'esprit des consommateurs.

Les lambics, gueuzes, kriek etc. de chez Cantillon sont euh, différentes... : très sèches, avec une acidité marquée, et un caractère de cave et d'écurie complexe à souhait. Pas du goût de tout le monde (je n'en boirais pas toute la soirée, je l'admets, mais ça va mieux...), mais une œuvre de salubrité publique en termes de diversité de goûts, à l'égal des petits producteurs de fromage au lait cru...
Et une capacité à innover, aussi, Jean Van Roy expérimentant régulièrement par exemple avec des cuvées spéciales houblonnées à cru.

J'étais donc à Bruxelles sur invitation d'un bar qui entretient des relations particulières avec Cantillon, mais je vous raconterai le détail la prochaine fois...

* il convient de rappeler qu'en patois bruxellois, architecte est une insulte... et il suffit de se pencher sur quelques monstruosités comme le Palais de justice - en fait, non, on ne se penche pas sur le Palais de justice, on se déboîte les cervicales à essayer de lever assez la tête... - ou l'axe Bruxelles-Nord - Bruxelles-Midi pour comprendre pourquoi...

jeudi 24 septembre 2009

Publicité à la télévision, re-suite et fin ?

Selon une dépêche ATS toute fraîche, le Conseil des Etats s'est finalement rallié tacitement à la décision du Conseil National suite à la conférence de conciliation. Mais le vote a été serré, à 13 pour voix et 12 contre.

En l'Etat, la nouvelle loi sur la radio et la télévision va autoriser les chaines de télévision à diffuser en Suisse de la publicité pour le vin et la bière à moins qu'il n'y ait un référendum venant des milieux de la prévention.

Voilà qui va profiter aux grands pourvoyeurs internationaux de lager blonde formatée, et à eux seuls.
Vous n'avez pas encore jeté votre télévision aux orties ?

PS : Il semble que, par rapport à l'accord négocié avec l'UE, la Suisse ait la possibilité de ne pas autoriser la publicité pour les spiritueux, alcopops, ainsi que les publicités religieuse et politique, "pourvu qu'elle ne soit pas discriminatoire et dans l'intérêt public". On peut donc voir se profiler une application soumise à une marge d'interprétation, et par conséquent à des disputes se règlant devant les tribunaux pour établir une jurisprudence...
Verra-t-on pêle-mêle, la Sc*entologie, l'AS*N, S*agram, R*card et D*ageo faire la queue au Tribunal Fédéral pour tenter de convaincre qu'il est discriminatoire de les empêcher de faire de la publicité à la télévision ?

mercredi 23 septembre 2009

Publicité à la télévision, re-suite

La partie de ping-pong parlementaire autour de la loi sur la radio et la télévision, en particulier la clause sur la publicité pour la bière et le vin, se poursuit (pour les épisodes précédents, voir ici et ) : le Conseil national maintient sa majorité en faveur de l'option la plus libérale, contre l'avis du Conseil des Etats, et l'affaire va dont effectivement partir en Conférence de conciliation. La dépêche ATS à ce sujet, répercutée par exemple par 24 Heures, explique bien les enjeux et les ramifications de cette prise de décision : c'est pour continuer à profiter du programme européen MEDIA d'aide au cinéma que la Suisse a été forcée de mettre en branle cette révision de la loi, et prévoit d'ouvrir les vannes de la publicité politique, religieuse, pour les spiritueux, voire pour le vin et la bière, sur les écrans icitte.
Avec une gauche du parlement qui plaide pour une sortie de l'impasse par une interdiction totale - avec pour argument principal la prévention - m'est avis qu'on n'est pas sortis de l'auberge. Référendum ou pas ? On verra bien...

L'héritage du cartel de la bière en Suisse

Bon, un petit peu d'histoire, question d'essayer de comprendre les origines de la situation brassicole suisse.

De 1936 à 1991, le marché Suisse de la bière était pour l'essentiel réglé par la Convention de l'Association suisse des brasseurs, qui établissait de fait un cartel. Dans les faits, la convention prévoyait, entre autres :
1. que chaque brasserie ait son territoire de distribution réservé et clairement délimité où elle dispose de fait d'un monopole.

2. que la distribution de bière sur la territoire d'un concurrent soit l'objet d'amendes sévères.

3. que seuls quatre style de bière étaient autorisés à la production : lager blonde, lager spéciale, lager brune, lager forte.

4. que les bouteilles de bière devaient avoir une contenance de 29cl ou 58 cl. Au départ, les bouteilles d'un pool officiel, marquées, chose qui s'est assouplie ensuite.

5. que les brasseurs étrangers ne pouvaient distribuer leur bière en Suisse que via le réseau de distribution d'une brasserie suisse.
Le quatrième et le cinquième point ont clairement des buts protectionnistes, il faut y ajouter la clause qui est restée jusque dans les années 1970 dans l'ordonnance sur les denrées alimentaires, qui précisait que la bière devait être limpide, écartant de fait les Hefeweizen des concurrents bavarois.
Le troisième point a magnifiquement tué la créativité des brasseries concernées. Si, actuellement, les brasseries régionales alémaniques sont toujours plus ou moins incapables (sauf exceptions, par exemple Locher) de sortir des styles de bière "officiels" germaniques, ayant juste ajouté une lager blonde non filtrée et une Weizen aux catégories autorisées par le cartel, c'est bien là qu'il faut en chercher les causes.
Les deux premiers points, eux, ont eu pour effet qu'il était impossible pour une brasserie de croître sans se trouver contrainte de racheter des concurrents pour les fermer et reprendre leurs réseaux de distribution. Le cartel a donc provoqué une concentration
La cumul du premier et du troisième point a en outre, effet merveilleusement pervers, bloqué toute concurrence sur le terrain de la qualité. Le consommateur moyen se trouvait dans l'incapacité de pouvoir comparer, ou de pouvoir aller boire la bière d'un concurrent en face si celle qu'on lui servait n'était pas à son goût.

Quand la fin du cartel a été annoncée pour fin 1991, on s'attendait (cf par exemple l'émission "Echo" de la TSR à ce sujet) à une guerre des prix entre les deux plus gros acteurs du marché, Sibra (Cardinal) et Feldschlösschen. Cette guerre des prix n'est jamais arrivée. Sibra et Feldschlösschen ont fusionné avant la fin de 1991, et la concentration s'est accélérée, le groupe avalant Warteck à Bâle, Gurten à Berne, Löwenbrau et Hürlimann à Zürich... avant de se vendre à Carlsberg en 1999.
Calanda-Haldengut a de son côté, en Suissee orientale, été avalée par Heineken peu auparavant.

Un duopole s'est petit à petit dessiné, et nous y sommes de fait depuis 2008 : Heineken reprenant Eichhof, la dernière grande brasserie indépendante Suisse, et Carlsberg reprenant les activités de Kronenbourg suite à une OPA sur le plan international.
Actuellement, ce duopole tient un bon 70% du tonnage de bière consommé en Suisse, et de manière plus cruciale, une part plus importante, probablement de l'ordre de 90%, des cafés et restaurants, à travers des contrats d'exclusivité.
Et ce duopole n'a pas totalement perdu les réflexes de l'époque du cartel : quand un des deux annonce une hausse du prix de la bière, l'autre fait en général de même dans la semaine.
Et leus parts de marcher continuent, inexorablement, à baisser

Et à part les deux gros ? Il y a une vingtaine de brasseries régionales de taille moyenne (moins de 5% de part de marché, souvent moins de 1%), pour la plupart en Suisse alémanique et survivantes du cartel. Une exception intéressante est Boxer, fondée hors cartel en 1959, qui est toujours là, la seule de cette catégorie en Suisse romande.
De ce côté-là, les produits peinent encore à sortir des canons germaniques, des deux variétés de bière blonde assortis d'une brune et d'une forte

En outre depuis les années 1990, on voit un foisonnement d'auberges-brasseries (brewpubs, suivant l'exemple de la Fischerstübli de Bâle, fondée en 1973 en rébellion contre le cartel) et de microbrasseries. Le problème de tout ce petit monde est que, pour quelques producteurs qui tiennent leur rang face à l'élite mondiale, comme BFM ou Trois Dames, la qualité est souvent un peu limite, voire franchement foireuse (surtout côté romand) , ou le carcan des styles "officiels" est toujours là (surtout côté alémanique).

La situation actuelle est tout de même excellente, Les consommateurs de bière en Suisse ont, entre la production domestique et les importations, une diversité rarement vue à disposition, tant dans les bars que dans le commerce de détail.
Le problème est que pour en profiter, le consommateur doit un peu gratter au-delà de la surface, la plupart des bars et des magasins proposant le même océan de blonde de masse interchangeable.

Bref, lectrices et lecteurs, quand avez-vous pour la dernière fois activement cherché "autre chose" au rayon bière, en assumant aussi les conséquences, en particulier qu'un bon produit artisanal est plus cher ?
Le progrès accompli depuis la fin du cartel est notoire, mais un reflux est toujours possible...

mardi 22 septembre 2009

(Le mythique) Birramisù

Encore une petite recette, parmi les plus simples, mais efficaces dans la démonstration de la valeur de la bière en cuisine.

J'ai mis celle-ci par écrit il y a dix ans, et elle a été pas mal reprise sur le Grand Cyberfoutoir Planétaire, sans être nécessairement créditée correctement...

Birramisù

L’idée de mouiller un tiramisù avec de la stout pour remplacer le mélange café fort / amaretto est relativement évidente, avec l'avantage majeur que l'amertume de la bière est capable de se tailler une chemin vers les papilles à travers la douceur grasse de la mousse au mascarpone, équilibrant mieux les goûts du plat.

Il convient ici de choisir une stout au goût puissant, comme une St. Ambroise Oatmeal Stout, une Samuel Smith Imperial Stout ou une Lion Stout du Sri Lanka, car une Guinness pseudo-pression ou une Young’s Double Chocolate Stout, par exemple, risquent de ne pas avoir le muscle nécessaire pour prendre le dessus sur la mousse.

2 jaunes d’œuf

50g de sucre

- Faire blanchir le mélange au fouet

un peu de zeste de citron râpé

300g de mascarpone

- Incorporer au mélange

2 blancs d’œufs

1 pincée de sel

- Battre en neige

1 c. à s. de sucre

- Ajouter aux blancs, battre.

- Intégrer doucement le tout au mélange précédent.

150g de pèlerines / biscuits à la cuiller

- Tapisser le fond d’un plat (env. 25 x 20 x 6 cm) avec la moitié des biscuits

330ml de stout (cf. ci-dessus)

- Mouiller les biscuits avec la moitié de la stout

- Recouvrir avec la moitié de la crème au mascarpone

- Répartir les biscuits restants en une deuxième couche

- Mouiller cette deuxième couche avec le reste de la stout (utiliser une cuillère pour bien répartir)

- Recouvrir avec le reste de crème au mascarpone

- Laisser au moins 6 heures, couvert, au frigo

Cacao en poudre

- A l'aide d'une passoire, saupoudrer d'une fine couche de cacao avant de servir

samedi 19 septembre 2009

ça sent le gaz...


Aujourd'hui, c'est du recyclage éhonté - en plongeant dans mes archives, j'ai déterré cet article sur le goût de mouffette. Pas tout neuf, ça date d'avril 2004 - à l'époque où je sévissais dans le Courrier de l'Orge pour l'ABO - mais il n'y a rien à en retrancher... la bière qui sent le gaz, y'en a toujours beaucoup trop...

La mouffette et le néon.

La mouffette (mephitis mephitis), aussi appelée skunk skuns ou sconse, est un mustélidé (cf. loutre, fouine, blaireau, putois etc.) nord-américain à la riche fourrure noire et blanche. A l'age adulte, elle mesure de 50 à 75 cm queue comprise. Cette dernière, très touffue constituant environ un tiers de la longueur totale. En cas d'agression, la mouffette se défend par des jets d'un musc à l'odeur très désagréable et tenace.

Cela n'a a première vue rien à voir avec la bière, mais attendez un peu…

Travaux pratiques :

Par un matin ensoleillé, allez au supermarché, et achetez un pack carton fermé d'une lager "premium" blonde en bouteille verte (Heineken, Carlsberg, Boxer Old, Pilsner Urquell, par exemple).

Rentrez chez vous et prenez-en deux bouteilles. La première ira au fond de l'armoire, dans l'obscurité la plus totale, et l'autre ira sur le bord de la fenêtre en plein soleil. Il faut l'y laisser trois-quatre heures au moins.

Ensuite, mettez cette bouteille au frigo trois ou quatre heures, avec celle que vous avez mise de côté dans le placard.

Une fois qu'elles sont bien fraîches, prenez deux verres identiques, décapsulez les deux bouteilles, versez, et comparez…

Saisissant, non ?

D'un côté, la bière qui sort du placard a un une odeur et goût de houblon plus ou moins nets, rappelant, selon les cas, le foin frais, le miel de forêt ou la camomille, avec une amertume finale claire.. De l'autre, outre l'amertume nettement moindre, plus "étriquée" sur la langue, on a une odeur nettement plus désagréable, rappelant le gaz de ville, le chien mouillé, ou, pour les Québécois qui connaissent cette odeur depuis l'enfance… de mouffette.

Nous y voilà. Ami lecteur, amie lectrice, tu viens de découvrir le goût de mouffette, appelé parfois goût de lumière, ou désignée parfois à l'aide du terme américain skunking. (Accrochez-vous, à partir de là, ça devient un peu technique, mais ça vaut la peine de lire jusqu'au bout.)

Que s'est-il passé dans cette bouteille exposée au soleil ?

En deux mots : les résines de houblon présentes dans la bière ont été dégradées par la lumière.

Pour faire plaisir aux chimistes : les isohumulones (ou acide alpha) qui donnent à la bière son amertume, sous l'effet de la lumière (on parle de photolyse), ont libéré des groupes isoprène-diène, qui se sont combinés au sulfure d'hydrogène présent en faible dose dans la bière, pour former un mercaptan, le 3-méthyl-2-butène-1-thiol, qui a cette odeur caractéristique de gaz de ville.

Les mercaptans sont une famille de molécules qui ont pour caractéristique d'être très odorantes, c'est pour cela qu'on en ajoute un au gaz de ville, qui est autrement inodore, comme "avertisseur" en cas de fuite. Le musc défensif des mouffettes ou des putois contient aussi des mercaptans, ce qui explique cette similitude. Une fois qu'on connaît ce signe indiscutable de dégradation de la bière, on se rend compte qu'une partie importante de la bière vendue à l'unité a un goût de mouffette.

Pourquoi ? Et comment l'éviter ?

Il faut d'abord préciser que les différentes sources de lumière ne sont pas égales face à la bière. Des recherches ont montré que les longueurs d'onde lumineuses qui dégradent les isohumulones sont comprises entre 400 et 520 nm (nanomètres ou milliardièmes de mètres). Ce que l'on appelle le spectre visible, à savoir la lumière et les couleurs que l'œil humain perçoit, se situe entre 400 et 700 nm. Ce sont donc les ondes les plus courtes du spectre visible, entre le vert et le bleu-violet dans l'arc-en ciel.

La lumière solaire contient toutes les longueur d'ondes à haute dose, donc elle est néfaste à la bière. Les lampes au néon [et les ampoules économiques, quoique des progrès aient été faits en la matière depuis leur introduction*] le sont aussi, car la lumière qu'elles produisent est une lumière "froide", qui se situe dans les bleus. La lumière très blanche (ce qui veut dire qu'elle contient toute la gamme visible) des halogènes peut aussi, à la longue, avoir un effet néfaste. Par contre les lampes à incandescence ont une lumière qui se situe plutôt dans le jaune, soit principalement hors de la partie du spectre lumineux "dangereux".

De l'autre côté, l'emballage de la bière a aussi son influence. Les boîtes métalliques (et les fûts) ont un avantage incontestable en la matière, ne laissant pas du tout passer la lumière. Leur défaut est cependant d'ordre énergétique et écologique. Les bouteilles brunes filtrent plus ou moins complètement la partie bleu-verte du spectre lumineux, et protègent relativement bien la bière.
Les bouteilles vertes ou bleues, malheureux hasard, laissent juste passer une partie du spectre lumineux qui est dangereuse pour la bière, et n'offrent que peu de protection. Le verre blanc, enfin, est une catastrophe intégrale, laissant passer tout le spectre lumineux.

A noter que, même dans du verre blanc, une stout très foncée, restant impénétrable à la lumière, se protège relativement bien d'elle-même et présente très rarement un goût de mouffette. Par conséquent…

…l'amateur / l'amatrice de bière de bon goût :

  1. Evitera comme la peste les magasins ou supermarchés qui exposent la bière aux néons ou à la lumière solaire directe.
  2. Préfèrera les bouteilles brunes aux bouteilles vertes, bleues ou incolores. Ou cherchera à acheter ces dernières en pack ou en carton.
  3. Si le magasin de bières local s'éclaire au néon, préfèrera bouteilles brunes et boîtes métalliques (qu'il ou elle recyclera), et prendra soin de prélever ses bouteilles à l'arrière du tablard, qui est à l'ombre, ses caisses dans le dessous de la pile, ou demandera poliment des bouteilles venant de la réserve.
  4. Si on lui demande pourquoi il / elle se livre à ce manège, expliquera au personnel de vente qu'il ou elle préfère la bière non dégradée par la lumière.
  5. Devant l'incompréhension du personnel de vente, expliquera, sans trop entrer dans les détails, la photolyse des isohumulones. Par exemple :
    "La lumières des néons dégrade les résines de houblon dans la bière, surtout avec les bouteilles vertes et incolores. La bière sent le gaz de ville, l'amertume n'est plus nette et je n'aime pas ça."
  6. Ne se souciera pas de passer pour un/e dingue ou un/e emmerdeur/se, car il est de son droit le plus strict de choisir, voire d'exiger un produit qui n'est pas dégradé.

Une question reste, cependant : pourquoi tant de brasseries, qui devraient portant être au courant du problème, persistent-elles à employer des bouteilles vertes ou incolores ?

La réponse est à chercher dans le marketing. Prenez l'exemple de Heineken, qui a bâti sa notoriété au cours des 50 dernières années sur une image forte, celle de la petite bouteille verte. Carlsberg a plus ou moins fait de même au cours des dernières années, le vert étant associé à la fraîcheur et au naturel… code visuel qu'on retrouve aussi parmi les produits de nettoyage tels que les liquides-vaisselle. C'est pareil pour le bleu, qui émerge depuis quelques années pour certaines bières "branchées" avec une image, là aussi, de fraîcheur.

Dans le cas des bouteilles en verre blanc, le mécanisme est double. D'un côté, la transparence donne une image de pureté cristalline, de légèreté ; encore une fois, c'est un code visuel courant pour les liquides-vaisselle… (par contre personne n'achèterait un liquide-vaisselle brun, pas vrai ?)
De l'autre, il y a cette idée que "le client veut voir la couleur de ce qu'il achète". La couleur est-elle vraiment plus importante que le goût, quand il s'agit d'un produit qui se boit et est supposé apporter un certain plaisir du palais ?

En fait la situation est telle, avec une ignorance généralisée du phénomène, les frigos vitrés éclairés au néon, les bouteilles vertes ou incolores, que la mouffette est considérée par les consommateurs et consommatrices de base comme étant une partie normale du goût de certaines marques. Outre Heineken, victime régulière du problème quand elle est vendue à l'unité, on citera Cardinal Draft, Corona, Sol, ou encore Feldschlösschen Ice, qui présentent souvent une touche de mouffette, discrète à cause d'un houblonnage faible à l'origine. Etonnez-vous encore que tant de gens disent ne pas aimer la bière alors qu'une part importante de ce qu'on peut acheter n'a pas le goût de bière !

Bref, la mouffette est un charmant mustélidé, utile à l'équilibre des écosystèmes nord-américains, mais il n'a rien à faire dans votre verre ! Il est possible de changer les choses, si chacune et chacun applique les quelques conseils indiqués ci-dessus. A vous de jouer!

* (remarque de septembre 2009)

vendredi 18 septembre 2009

Publicité à la télévision, suite

Vite fait : le Conseil des états a apparemment maintenu hier son opposition à l'ouverture de la publicité pour le vin et la bière à la télévision (cf mon article de mercredi), donc la question va retourner au Conseil national, et s'il n'y a toujours pas d'accord là-dessus, ça passera en conférence de conciliation.
Donc ça va encore prendre du temps, sans oublier un éventuel référendum populaire contre la loi. Je vais garder un oeil sur la suite du processus...

jeudi 17 septembre 2009

Guinness: entre mythe et réalité historique



Le 24 septembre 2009, la brasserie Guinness fêtera ses 250 ans d'existence. Belle longévité à vrai dire, pas besoin d'en rajouter ou d'embellir, a priori...

Pourtant, depuis quelques décennies, le marketing de Guinness s'emploie à simplifier la réalité historique. Ce qui revient trop souvent à la déformer. Les faits concernant la brasserie et concernant les stouts et porters sont systématiquement manipulés au service d'un mythe par moments franchement risible.
Pour caricaturer sauvagement, la version officielle colportée dans les dossiers de presse, serait qu'Arthur Guinness a inventé la stout le 24 septembre 1759, et que le produit brassé pour la première fois ce jour-là est le même qui est servi au pub du coin en ce moment. En très gros.
Les médias, travaillant toujours dans l'urgence, ânonnent trop souvent gentiment le petit couplet que leur fournit la brasserie, sans chercher à vérifier la vérité historique. C'est dans l'ordre des choses.

Le buzz des 250 ans a déjà commencé dans les médias francophones de belle manière, par exemple dans France Soir le 4 septembre. Je cite :
"C’était il y a 250 ans jour pour jour, le 24 septembre, qu’Arthur Guinness lançait sa fameuse bière !"
Rétablissons ici les faits, tels qu'on peut les lire, par exemple dans l'ouvrage "Arthur's Round" de Patrick Guinness :

1. C'est effectivement en 1759 qu'Arthur Guinness a commencé à produire de la bière à la brasserie de ST James Gate, qu'il avait racheté peu auparavant.
Arthur Guinness brassait depuis 1752, d'bord derrière le White Hart Inn (l'auberge du daim blanc) à Kildare jusqu'en 1755, puis à Leixslip, près de là, reprenant une brasserie existante. Cette date de 1759 n'est donc que le transfert d'une activité vers une brasserie existante, pas la fondation d'une brasserie.

2. En 1759, Arthur Guinness ne brassait que de la brown ale, bière brune de fermentation haute. Les premières tentatives de production de porter par Guinness remontent à 1778, et ce n'est qu'en 1799, soit 40 ans après la fondation de la brasserie, que le porter devient le seul style de bière produit par Guinness. Et on ne parle même pas encore de stout à ce stade-là...

3. Arthur Guinness n'a inventé ni le porter ni la stout. Le porter est une évolution londonienne des brown ales remontant aux années 1720, et ce sont aussi les brasseurs londoniens qui ont décliné le porter en stout porter par la suite.
A l'époque, le terme stout s'appliquait à toute bière forte/épaisse, quelle que soit sa couleur, par opposition avec les bières légères/minces, auxquelles s'appliquait le terme slender. Ce n'est que plus tard, probablement au début du XIXe siècle, que le terme stout s'est substitué totalement à stout porter.

4. La Guinness pression actuelle n'a plus grand'chose de commun avec les porters du milieu du XVIIIe siècle.
Premièrement, l'invention du malt torréfié (par M. Wheeler, là aussi, Guinness n'y est pour rien, malgré les légendes d'incendie...) remonte à 1817, et il faudra quelques décennies pour que les brasseurs passent d'un porter 100% brown malt au porter issu d'un mélange de malt blond et d'une petite proportion de malt ou d'orge torréfiés. Les quantités de houblon employées ont aussi baissé radicalement en 250 ans.

Deuxièmement, la densité est nettement plus basse, à 4,2% d'alcool par volume, celle, moyenne d'un porter vers 1750 tournant apparemment autour 7% d'alcool.
De plus, chose découverte il y a peu par l'auteur britannique Ron Pattinson, l'atténuation a été augmentée au début des années 1950, réduisant notablement les sucres résiduels dans la bière finie, dont l'épaisseur en bouche et la douceur de celle-ci. La dry irish stout (stout sèche irlandaise) ne serait donc qu'une tradition datant au plus d'il y a 60 ans.

Troisièmement, les porters et stout porters d'époque étaient au moins en partie issus d'une stale beer, une bière vieillie plusieurs mois dans de grandes cuves de bois. La bière en tirait une certaine acidité vineuse, et un caractère évoquant le cuir et les écuries. De nos jours, il n'y a plus guère, parmi la quinzaine de versions de la stout à travers le monde, que la version brassée à Dublin de la Foreign Extra Stout, à 7,5%, qui soit issue en partie d'un assemblage de bière jeune et de bière vieillie. Et c'est souvent dur de la trouver. Essayez en épicerie indienne ou africaine, c'est souvent là qu'elle se cache.

J'arrête le massacre là, mais on pourrait encore en remettre quelques couches, par exemple sur les prétendues origines religieuses du service en deux fois de la Guinness pression, sans avoir besoin de chercher trop loin...

Toujours est-il que pour l'essentiel des profanes, et même pas mal d'amateurs de bière, Guinness est purement et simplement synonyme de stout. Et à tort.

D'un côté les amateurs de bière fourvoyés dans cette voie se plantent le doigt dans l'œil en mythifiant un produit de masse, certes moins vil que nombre de blondes de masse, mais qui n'est quand même plus qu'une pâle ombre de lui-même, et n'ont donc qu'une idée éloignée de ce qu'est une stout.
De l'autre, nombre de profanes, ayant goûté une fois de la Guinness pression, pensent que toutes les stouts sont comme elle : un peu aqueuses, avec une touche âcre qui débarque en fin de bouche, au milieu d'un relatif désert. On a de bonnes raisons de ne pas aimer ça.

Quand, de haute lutte, on arrive à faire déguster à ces traumatisés de la stout quelque chose de niveau correct, comme la St. Ambroise Noire à l'Avoine de la brasserie Montréalaise McAuslan, qui présente une riche palette de goûts évoquant tour à tour le café, la mélasse, le sucre brun et la réglisse, où l'amertume finale et l'âcreté de la torréfaction sont élégamment capitonnées par un usage maîtrisé des malts spéciaux et de la levure, le résultat est souvent spectaculaire, de l'ordre du "p*****, mais c'est BON, ce truc !"
Et ce genre de réaction vient au moins autant, sinon plus, de la part de femmes que d'hommes. Du coup, le mythe usé jusqu'à la corde des femmes qui n'aimeraient soi-disant pas les bières noires se prend un direct dans les gencives.

Juste encore un petit mythe à dégommer vite fait, pour la route : une stout à 4,5%, quelle que soit sa marque, contient moins de calories, à quantité égale, qu'un jus de pomme, d'orange ou un lait écrémé. Alors le mythe du "ça nourrit", on peut aussi le reléguer vite fait aux oubliettes. Merci !

Voilà voilà... une fois de plus, ce que les brasseries vous disent est en désaccord assez sérieux avec la réalité des faits.
Mais vous n'allez honnêtement pas me dire que ça vous surprend encore ? Si ?



mercredi 16 septembre 2009

Publicité à la télévision ?

Il est notoire que la loi suisse sur la radio et télévision, contrairement à la loi allemande, par exemple, n'autorise pas la publicité pour l'alcool et le tabac.
Enfin, les diffuseurs locaux en sont exemptés depuis deux ans, et les fenêtres publicitaires destinées à la Suisse diffusées par SAT1 ou M6 peuvent aussi en contenir, ces diffuseurs n'étant pas sis en Suisse.

Un des corollaires connus de cette situation est que les grandes brasseries produisent du coup des bières sans alcool portant la même marque que leur produits principaux, afin de pouvoir faire de la publicité à la télévision en entretenant la confusion. Depuis la reprise du groupe Feldschlösschen par Carlsberg, on a par exemple assisté à un réalignement des marques à cet usage, la Moussy devenant de la Cardinal Sans, et la Schlossgold devenant Feldschlösschen Alkoholfrei. Dans les deux cas sous un packaging proche de la bière alcoolisée correspondante. Dans le cas de Cardinal Sans, des spots publicitaires très semblables faisaient la promotion plus ou moins en même temps de la Cardinal Lager dans les cinémas, et de la Cardinal Sans à la télévision (plus de détails ici). De même, Feldschlösschen s'est fait taper sur les doigts à au moins deux reprises au cours des dix dernières années par l'autorité de surveillance en matière de radio et de télévision, pour cause de spots publicitaires montrant beaucoup le logo Feldschlösschen, et une toute petite mention "sans alcool" en passant, à la fin du spot. Bon, je cite le cas Carlsberg Suisse, sans que ça soit nécessairement mieux du côté de la concurrence...

Donc cette interdiction est largement contournée, même si ce contournement est relativement coûteux (les installations de distillation sous vide nécessaires à la désalcoolisation de la bière sont un exemple d'investissement lourd lié à la chose...) mais faut-il la faire sauter pour autant ?

Cela fait un bout de temps que la question, contenue dans la révision de la Loi fédérale sur la radio et la télévision, et en relation avec la directive MEDIA de l'UE qui autorise la publicité politique religieuse et pour les spiritueux et alcopops (!!) , mais pas pour la bière et le vin, fait la navette entre le Conseil national et la Conseil des Etats.
Une dépêche ATS annonce aujourd'hui que le Conseil national tient ferme à l'option d'une libéralisation allant plus loin que la directive MEDIA et incluant vin et bière.

Il faut juste se demander à qui profite le crime... sans agiter le spectre de la santé publique comme le font quelques prohibitionnistes de tous bords politiques, il faut bien voir que seuls des acteurs disposant d'un financement important ont objectivement les moyens de se payer de la publicité à la télévision... et que le passage de cette libéralisation, partielle ou totale promet un beau matraquage du citoyen-consommateur suisse à disposition qui serait prêt à aligner les billets pour se l'offrir.
Les risques sur le plan de la publicité politique et religieuse sont assez évidents et cauchemardesques - relisez 1984 d'Orwell si vous ne voyez pas à quoi ça mène !

Pour les boissons alcoolisées, la chose renforcera les marques internationales et nationales, leur force de frappe marketing devenant encore plus disproportionnée par rapport à leurs concurrents, aux brasseries locales et régionales, aux micro-brasseries, qui assurent une diversité de styles et une pluralité qui n'intéresse pas les grandes brasseries.

Donc outre les citoyennes et citoyens soucieux de ne pas se faire envahir de démagogie virant à la propagande haineuse ou de mensonges doucereux émanant de divers groupes religieux plus ou moins sectaires, les consommatrices et consommateurs de bière dotés d'un minimum de goût et de sens critique rejoindront les rangs des opposants à cette libéralisation publicitaire.

Quoique. On pourrait, par un bon matraquage publicitaire, dégoûter nombre de téléspectateurs et les amener à se débarrasser de leur poste pour rejoindre les rangs de la résistance téléphobe. On peut rêver, non ?

dimanche 13 septembre 2009

Eve s'exporte.


Depuis son apparition il y a trois ans, et malgré tout le mal qui a déjà été écrit à son sujet, la Cardinal Eve, abominable machin mélangé sur une base de bière acratopège, sur-sucré et à l'aromatisation agressivement artificielle malgré ses "4% de jus de fruits" (le minimum légal en Suisse), poussé à l'aide d'une campagne marketing massive - qui pourrait tout aussi bien servir à vendre de la crème de jour ou des serviettes hygiéniques - est un des facteurs qui a permis à Cardinal de maintenir ses tonnages de production dans un marché Suisse globalement en baisse depuis des décennies.

(Ceci dit, le jour où Carlsberg Suisse fermera les vannes de la coûteuse promotion d'Eve, ses jours seront comptés... Deux ans au plus. On parie ?)

La chose n'est apparemment pas passée inaperçue en haut lieu au sein du groupe Carlsberg, parce qu'Eve a fait des petits. Apparemment, le groupe danois pense avoir trouvé un moyen de réduire le repli de ses ventes sur d'autres marchés européens que la Suisse.

En printemps 2008, c'est en Allemagne que Carlsberg a lancé l'Eve, dans une autre bouteille, et débarrassée de la marque Cardinal, qui n'a aucune notoriété outre-Rhin. Et uniquement en version lychee et grapefruit, faisant l'impasse sur le fruit de la passion.
Le plan marketing, par contre, est remarquablement similaire, avec des slogans blaireaux genre "Il te faut : une bonne copine, un bar branché, deux wonderbras, zéro euro pour les boissons" sur des images de jeunes femmes en tenue de soirée photoshopées jusqu'aux yeux. (Ben oui, le Sens de la Vie de La Femme c'est de se pomponner et de sortir séduire l'Homme afin de se faire offrir un verre, non ?...)
Difficile de jauger le succès de l'affaire, Carlsberg restant assez discrets à ce sujet. Mais après un peu plus d'un an, Eve est toujours sur le marché allemand, ce qui indiquerait que ça n'ait pas été un désastre total...

Maintenant c'est à la Grande-Bretagne que Carlsberg s'attaque. Avec une étude de marché en grandeur réelle dans la région de Manchester, débutée en août et qui doit durer trois mois. Là aussi, l'impasse est faite sur un des trois arômes, à savoir le grapefruit, les deux autres étant rebaptisés "exotic passionfruit" et "luxurious lychee", mais l'angle de vente est toujours plus ou moins le même, simplement adapté aux conditions locales.
Il faut croire que Carlsberg aient foi dans le potentiel de ce produit pour se livrer à un exercice de cette ampleur. La page de publicité reproduite en tête de cet article montre que là, aussi, on se vautre dans les clichés en flattant une supposée superficialité féminine.

Bref, quel que soit le pays concerné, Carlsberg montre qu'elle n'est pas sortie des clichés sur "les femmes qui n'aiment pas la bière", et se vautre dans le mépris habituel affiché par les multinationales de la bière vis-à-vis des femmes.
Oui, une certaine proportion de femmes aime les choses roses et sucrées, mais pas toutes. Il y a aussi beaucoup de buveuses de café noir "tout nu" et de mangeuses de chocolat très noir et de réglisse.
"Les femmes" est un concept qui recouvre, soit dit en passant, la moitié de la population, et le simple fait de poser une généralisation globale les concernant relève de la malhonnêteté intellectuelle la plus crasse. Même quand on dore la pilule avec un couplet doucereux comme celui-ci, tiré droit du site web cardinal.ch :

"Bien entendu, le produit a été développé par des femmes. Elles ont veillé à ce que EVE de Cardinal réponde exactement aux attentes de leurs clientes envers une boisson rafraîchissante et tendance."
Ah ben bien sûr... ça peut être calibré 100% marketing, mais vu que le groupe de travail qui a pondu ça était constituée uniquement de femmes, toutes les femmes doivent obligatoirement aimer ça...

Bon, on me rétorquera qu'en tant qu'homme, et buveur aguerri de surcroît, je peux pas comprendre les réticences des femmes face à la bière, tout le petit couplet habituel. La belle affaire, je vais vous en fournir un, de point de vue féminin, pour équilibrer, et un point de vue assis sur une solide expérience des séminaires d'initiation à la bière destinés aux femmes, qui démontre plus souvent qu'à son tour que nombre de femmes aiment les bières noires et épaisses, ou très amères...
Voici donc sur quoi la légendaire Melissa Cole a terminé le mois dernier son article consacré à l'arrivée d'Eve sur le marché britannique :

"[...] thank you Carlsberg, it's just as well you're here to remind us ladeez not to get too big for our britches on the flavour front.
You've caught us just in time because us girlies were just beginning to take our tastebuds out of saccharine atrophy, so thank you for putting us right back into our sweet little fluffy, sparkly-pink boxes."
Ce qui, traduit, donne, en gros :

"[...] merci Carlsberg, c'est tout aussi bien que tu sois là pour nous rappeler, à nous les dââmes de savoir rester à notre place sur le front du goût. Tu nous a rattrapées juste à temps, parce que nous autres fifilles, on commençait tout juste à sortir nos papilles de leur atrophie édulcorée, donc merci de nous remettre droit dans nos douces petites boîtes roses duveteuses et pailletées."
Il est vrai que dans l'ambiance feutrée des conseils d'administration, on s'intéresse plus souvent à maintenir son chiffre d'affaire qu'à considérer la moitié de l'humanité comme des êtres doués de raison. L'autre moitié non plus, d'ailleurs.

samedi 12 septembre 2009

La bière, ça se mange !...

Une bonne recette vaut mieux que des kilomètres d'explications. Celle-ci est une de mes créations, jouant sur la douceur, l'anisé du cumin et la force du fromage de chèvre.

Attention! en Suisse, on emploie le mot cumin pour désigner l'épice que le reste de la francophonie appelle carvi / cumin des prés !

Essayez-la !!

***
Velouté de carottes au cumin et bière au miel
Entrée pour 6 personnes (ou 4 en plat unique)
Préparation : 30 minutes
Ingrédients :
- 600 grammes de carottes
- 1 oignon
- 1-2 c. à c. de graines de cumin

- une noix de beurre + 1 goutte d'huile d'olive
- 50 cl (2 petites bouteilles) de Bière de Miel (Brasserie Dupont,
substituts cf. ci-dessous)
- 25 cl d'eau
- cube de bouillon de légumes (correspondant à 1 litre)
- poivre, évt. sel.
- 1 petit fromage de chèvre frais

Préparation :
- dans une cocotte-minute (sans grille), faire revenir à feu vif l'oignon et les graines de cumin dans le beurre et l'huile.
- ajouter un trait de Bière de Miel, laisser réduire et caraméliser
- déglacer avec l'eau, le bouillon, la Bière de Miel (dont on réservera env. 1 dl), ajouter les carottes émincées
- réduire le feu, fermer la cocotte minute, cuire 5-8 minutes une fois la pression de cuisson atteinte.
- après cuisson, passer la soupe au mixer (plongeur), ajouter la bière réservée, poivrer, éventuellement saler si nécessaire.
- Servir chaud avec une petite tranche de fromage de chèvre frais posée sur la soupe. Décorer avec quelques grains de cumin si nécessaire. Et du pain, bien sûr.
En accompagnement : un verre de Saison Dupont, ou d'une autre saison (Saison 1900, Saison Regal etc.) qui fera écho à la douceur des carottes et à l'anisé du cumin, tout en ayant assez d'amertume pour équilibrer. Ou alors une vraie pilsner (Pilsner Urquell, Budvar, Meteor Pils ou Rothaus Pils / Tannenzäpfle) dont le houblon floral fera écho au miel, tout en assurant une amertume suffisante.

Remarques :
- On peut substituer une bûchette au chèvre frais.
- Comme substitut à la Bière de Miel Dupont, prendre une autre bière forte belge au miel ayant un caractère de miel prononcé. Par exemple Saint-Monon Brune au Miel, Binchoise Pavé de l'Ours, ou éventuellement une Lefèvre Barbar.
- Si pas de bière forte au miel disponible, la remplacer par un mélange de 4,5 dl de bière d'abbaye belge blonde ou rousse à 8% ou plus et 0,5 dl d'hydromel / chouchen.
--

PS : la Bière de miel et la Saison Dupont sont importées et distribuées en Suisse par le S'Quat à Bières, à Yverdon

vendredi 11 septembre 2009

Keineken, suite : Roger Protz en passe une couche.

Roger Protz, pointure parmi les pointures du journalisme brassicole international, s'est penché sur l'affaire de la saisie par la justice, sur demande d'Heineken, du stock de bière et de verres de l'association Keineken dont je parlais ici même il y a peu.

Pour ceux qui lisent l'anglais, c'est que son article se trouve.

Et c'est instructif : On y apprend qu'il n'a fallu que quatre heure à Heineken Suisse entre la diffusion du communiqué de presse et la première intervention des avocats auprès de M. Engler de Keineken, et moins de 12 heures pour que la justice fasse saisir les 1'200 bouteilles qui mettaient en danger de manière aussi grave l'intégrité de la Marque Verte Batave...

Belle mentalité, y'a pas à dire.

Faut aimer...


...mais moi, ça va, merci, j'ai grandi avec du Cenovis sur mes tartines.
Du coup, je peux faire mon petit effet outre-Manche en empoignant le pot de Marmite pour en couvrir un toast beurré. La mine déconfite des Britons persuadés de me voir m'étrangler dans la minute vaut son pesant d'oeufs au bacon.

Bref, icitte, c'est de bière qu'on cause, alors venons-y. Tout comme le Cenovis helvétique et le Vegemite australien, le Marmite britannique est une icône née dans les années 30 d'un recyclage de la levure de bière.
D'ailleurs, le Marmite est né à Burton-on-Trent, un des berceaux de la bière britannique, et le Cenovis a été produit pendant longtemps à Fribourg, puis à Rheinfelden, la proximité de grandes brasseries étant une simple mesure de bon sens, même si leur bière n'est pas nécessairement fameuse...
La brasserie Guinness a aussi produit elle-même une pâte du genre à Dublin jusque dans les années 50.

Le principe de fabrication est simple : la levure est additionnée de sel et chauffée doucement jusqu'à devenir, par action de ses propres enzymes, une pâte brune au goût "viandeux" caractéristique - c'est d'ailleurs un faux goût qu'on retrouve parfois dans la bière, quand il y a autolyse, à savoir mort et désagrégation, de la levure de refermentation dans la bouteille.

On y ajoute ensuite de l'extrait de légumes (le Vegemite contient de l'extrait de malt, aussi) et c'est prêt à tartiner... ou à employer pour gonfler le fond de sauce un peu court ou clairet d'un rôti, par exemple. Les Britanniques l'emploient aussi pour accompagner le cheddar... enfin: les versions industrielles insipides du cheddar peuvent en avoir besoin, pas le cheddar fermier digne de ce nom, qui tient sans peine son rang face à un bon gruyère suisse (sans trous).

Un des coups fumants de Marmite ces dernières années, a été, début 2007, la série limitée Guinness, contenant 30% d'extrait de levure provenant de chez Guinness.
Et ils ont remis ça cet été avec une série limitée Marstons, dans un pot qui tente de ressembler à une balle de cricket, y compris la couture en trompe l'oeil très kitsch sur les côtés, vu que Marstons est sponsor de l'équipe anglaise de cricket.
L'opération a été lancée pour The Ashes, tournoi ancestral de cricket opposant l'Angleterre à l'Australie, que les Anglais on d'ailleurs gagné cette année.

Les pots contiennent 10% (c'est la crise ?) d'extrait de levure de Marstons Pedigree, une bière qui est la dernière à être fermentée dans des burton unions - un dispositif complexe de fûts de chêne reliés entre eux, avec des cols de cygne pour l'évacuation de l'excès de levure- et a un profil assez caractéristique. Au goût, contrairement à la version Guinness, la différence avec le Marmite normal est toutefois assez peu marquée, on cherche en vain la touche un peu soufrée typique des pale ales de Burton.

Donc oui, ça va pas révolutionner nos tartines, mais bon, c'était l'occasion de ramener un peu ma science sur le recyclage de la levure de bière. Faut ce qu'il faut.

Pour les fétichistes de la pâte brune et autres expat' Britons en Suisse, cette série limitée est pour le moment en vente chez Britshop.ch À fr. 10.90 le pot de 250 grammes. C'est de l'épicerie fine, et quand on aime, on ne compte pas.

PS : à quand une série limitée de Cenovis avec de l'extrait de levure de chez, par exemple, Boxer, Cardinal, Eichhof ou Locher, que ça occupe un peu les commerciaux de service ?

jeudi 3 septembre 2009

Sens de l'humour et sang-froid : Carlsberg 1 - Heineken 0

Carlsberg Suisse a une notion passablement étriquée de la "diversité" : à en croire l'excellent Bov, sur un portefeuille de 31 produits, le groupe Feldschlösschen / Carlsberg Suisse propose 24 lager blondes (plus ou moins interchangeables au goût, si l'on excepte les 3 sans alcool et l'unique non-filtrée), une seule lager brune, et six boissons sucrées aromatisées à base de "bière". On n'est pas loin de la célèbre boutade d'Henri Ford à propos du modèle T, comme quoi le client avait le choix de la couleur pour sa Ford T, du moment qu'elle était noire.

Pourtant, il faut reconnaître que quand, en juin 2008, en protestation contre le monopole de Carlsberg sur les périmètres réservés du Championnat Européen de football, Unser Bier avait lancé une bière à étiquette verte intitulée "Mehr als nur Calrsbreg" (en gros "pas rien que de la Calrsbreg"), on avait au moins gardé son sang-froid du côté de Rheinfelden et la chose n'avait pas eu de suites juridiques, faisant peu de vagues.

Par contre, quand, à fin août 2009, l'association Keineken basée à Engelberg (OW), fondée en réaction à la vente d'Eichhof - dernière grande brasserie indépendante Suisse, fortement ancrée à Lucerne - en avril 2008 à Heineken, se permet de faire produire par Unser Bier une bière "Keineken" pour étoffer un peu ses finances, Heineken lâche tout de suite sa meute d'avocats et fait saisir les 1'200 bouteilles produites, arguant d'un nom trop proche de sa marque.

Là où la chose devient délicieusement paradoxale, c'est que l'argument généralement retenu pour des disputes sur des marques comme celle-ci, c'est le risque de confusion pour le consommateur. Non seulement l'étiquette beige ne laisse aucun doute, le prix - Fr. 6.93 pour 500ml - non plus, mais Keineken est un mot-valise à la signification parfaitement limpide : "kein Heineken", qui peut se traduire comme "pas d'Heineken" ou "pas une Heineken".

C'est assez piquant, on en conviendra, de parler de risque de confusion avec Heineken, alors que le nom du produit précise bien, et de manière parfaitement intelligible pour les consommateurs germanophones concernés, que ce n'est pas de l'Heineken...

En attendant, Heineken viennent probablement de commettre un splendide auto-goal, vu que même s'ils ont gain de cause devant le justice, ils auront amené une énorme publicité gratuite à Keineken, et auront marché en plein dans le piège du "David contre Goliath"- ce ne sont pas 1'200 flacons qui allaient objectivement lui faire de l'ombre ! -, légitimant de fait l'association Keineken aux yeux d'une bonne partie des consommateurs de bière de la région lucernoise.

Le géant vert hollandais ne brille, dans le cas précis, vraiment pas par son sens de l'humour, ni par son bon sens en matière de relations publiques...