Fondamentalement, la bière a des atouts majeurs pour l'accord avec les plats:
- La bière est effervescente, ce qui permet de dégager les papilles, en particulier par rapport au gras et au piment.
- La bière peut amener une amertume, qui peut couper court aux aliments longs en bouche (gras ou sucré, par exemple). Une acidité éventuelle peut jouer le même rôle.
- La bière dispose d'une gradation dans la douceur qui offre beaucoup de nuances, permettant de s'adapter de manière flexible à des plats plus ou moins doux
- La bière dispose d'une très large palette de flaveurs spécifiques qui sont autant de points d'arrimage possibles avec les aliments.
L'accord entre bières et aliments peut se faire selon trois principes : compléter, contraster ou couper. Principes qui ne s'excluent d'ailleurs nullement l'un l'autre: au contraire, la plupart des accords jouent sur deux ou trois tableaux, l'un ou l'autre prenant le dessus. Par contre, si l'accord est vraiment désastreux à un des trois niveaux, il ne fonctionnera pas dans l'ensemble.
Compléter
Peut-être le plus difficile : on cherche à faire écho à un goût ou un parfum (appelés ci-après, pris ensemble, flaveurs) du plat avec une flaveur de la bière, flaveurs similaires ou s'harmonisant, avec le risque qu'une des deux soit trop intense et écrase l'autre.
Ce serait par exemple le cas en servant une Rauchbier (bière fumée au hêtre) avec une goulasch au paprika doux.
Ou alors les notes d'agrumes typiques de certains houblons britanniques ou américains qui peuvent compléter harmonieusement des herbes comme le thym ou le romarin.
De même, les notes moelleuses de croûte de pain frais de certaines bières rousses maltées s'harmonisent souvent bien avec le crémeux de certains fromages.
Là, c'est plus simple : on vise à mettre en valeur l'aliment et la bière en créant un contraste qui souligne les deux goûts.
Un classique du genre est le service d'un porter bien trapu avec un stilton, fromage bleu britannique crémeux. La douceur du porter soulignera le salé du bleu, le côté mélasse-chocolat du porter contrant le corsé lié aux moisissure nobles.
On mentionnera aussi les bières au miel avec le fromage de chèvre, ou les blanches un peu citronnées avec les poissons blancs, qui fonctionnent sur un principe analogue de contraste.
Couper
Dernier cas de figure : employer la bière pour couper court au potentiel écœurant ou lourd d'un plat, en général en faisant usage de l'effervescence et de l'amertume, voire de l'acidité.
Un des classiques en la matière est la pinte de bitter légère, fruitée, houblonnée, avec des notes d'agrumes, qui accompagne à merveille le fish & chips britannique (filet de colin frit en pâte à beignet, frites, purée de petits pois) en coupant court au côté gras du plat.
De même une blonde belge forte, houblonnée et très effervescente fera merveille avec la cuisine thaïlandaise, coupant court à la morsure du piment, dégageant les papilles du lait de coco (gras) et de la capsaïcine (huile essentielle du piment), assez intense pour être plus qu'un simple rinçage et amener un accompagnement plaisant aux épices.
Du côté des desserts, une stout forte accompagnera en beauté un tiramisù, tranchant avec son grillé et son amertume à travers le gras et l'onctueux de la mousse au mascarpone.
Enfin, si le plat contient de la bière (voir les principes élémentaires de cuisine à la bière), on évitera de servir la même bière avec celui-ci - solution de facilité souvent rencontrée - car la bière dans le verre risque d'éclipser celle dans le plat. On se tournera plutôt vers les trois principes énoncés précédemment, en choisissant en accompagnement une bière plus légère, moins intense que celle contenue dans le plat... à moins que les autres ingrédients du plat exigent quelque chose de costaud !
Et surtout, si les premières tentatives ne sont pas fameuses, ne pas céder au découragement, mais plutôt essayer une autre bière avec le même plat... c'est en fait probablement une bonne idée de toujours prévoir au moins deux options bière pour chaque plat, ce qui permet de comparer, et donc de poser le problème de manière plus concrète qu'avec une seule bière.
Et maintenant, lancez-vous !
8 commentaires:
Il est vrai que l'accord semble moins intuitif et peut provoquer plus de surprises qu'avec le vin.
Je suis en total accord avec tes propositions, mais cependant plus réticent sur les termes couper et contraster. Car comme pour l'exemple du porter et du stilton, il y a certes un grand contraste entre les deux, mais le mariage n'est-il pas au contraire du contraste un complément de goût, car l'un et l'autre sont assez extrêmes et la mise en commun des deux complètent la palette gustative?
Si je dis cela, c'est parce que je tiens toujours auprès des gens la théorie que pour l'accord bières-mets, il faut vraiment marier les produits, les faire fusionner, car la bière présente une finesse qui ne balaie pas le goût en bouche comme le vin. D'où un accord plus délicat, subtil, mais qui donne des résultats assez jouissifs (lorsque réussis), crée des arômes supplémentaires (même quand c'est manqué), et ne se limite pas à "bien passer avec".
Je prétends par exemple que les gens proposent souvent un vin rouge puissant sur un fromage corsé, négligeant souvent et malheureusement le vin blanc. Pour la bière, un raisonnement aussi sommaire a peu de chances de donner un résultat très probant.
Il faut effectivement essayer, et il se peut que contrairement à toute attente, certaines facettes secondaires des flaveurs de la bière resurgissent en premier lieu après une bouchée.
Je me demande d'ailleurs quand un grand chef de notre pays aura le culot de proposer une bière pour accompagner un de ses plats?
Je savais que je ne me trompais pas en commandant systématiquement de la Duvel au resto Thaï! ;)
@ Nicolas.
J'ai pas inventé ça tout seul, la notion des trois axes d'accord circule dans le milieu bièreux anglo-saxon depuis un bout de temps !
Pete Brown l'a entre autre mentionnée dans un de ces bouquin. Et si je me permets de la répercuter, c'est bien qu'elle tient la route... avec ces notions de couper et de contraster, qu'on voit trop peu employer.
Comme je l'ai écrit en toutes lettres, ces axes ne sont pas incompatibles... donc on a souvent des accords qui jouent sur deux axes, ou parfois les trois.
Mais, et c'est vital, tu peux avoit des accords qui marchent sur deux des axes, mais foirent totalement sur le troisième, et sont du coup caducs...
La combinaison porter-stilton joue justement en premier lieu sur le contraste doux-salé, mais aussi sur la complémentarité moisissure-grillé, la complémentarité crèmeux-malté/moelleux, et finalement sur la coupure du gras crèmeux par l'amertume...
S'en tenir uniquement au mariage-fusion - donc à la seule complémentarité
- c'est à mon avis beaucoup trop étroit comme vision. Parce que tu ne joues que sur le tableau des arômes ou flaveurs, et tu négliges les goûts fondamentaux (sucré-salé-acide-amer), ainsi que la consistance, l'effervescence, ou les sensations quasi-"mécaniques" sur la langue, comme de trancher à travers le gras ou de déblayer les papilles.
Et ce sont des domaines (corpulence , effervescence, amertume, acidité - ou non) sur lesquels la bière offre justement des palettes et des combinaisons plus larges que le vin. Donc qu'il faut en tenir compte, et que la méthodologie de mariage valable pour le vin n'est pas transférable telle quelle pour la bière.
C'est probablement une des tares habituelles de la culture européenne du goût que de se concentrer trop sur les seuls arômes, et pas assez sur les consistances et les textures...
(L'exemple du vin rouge pour un fromage corsé est en soi problématique, parce qu'en général c'est une facilité en fin de repas plus qu'autre chose.)
Je prône la nécessité d'oser les grosses bières face à des plats musclés et épicés simplement parce que la dominante est toujours de viser le très léger si on sert de la bière, genre juste pour rincer... dans les restos indiens, thaï, japonais, on en te sert que de la flotte, des blondes de masse qui n'ont pas grand-chose pour jouer face à la nourriture...
Pourant, uune IPA à 6% / 50 IBU avec un curry indien, c'est le pied. Une Duvel ou une Zinnebir avec un curry vert thaï, c'est d'enfer, parce que les arômes fruités et le houlon juent dans l'aromatique, l'effervescence dégage les papilles, et l'amertume tranceh à travers le lait de coco...
Sans oublier les sushis... là, c'est bière noire et veloutée, limite saline, et si possible fumée. Genre la Ghisa du Lambrate à Milan, ou la Schwarzer Kristall de Locher...
Bravo Laurent, pas mal de présenter des axes de recherches plutot que d'énumérer simplement des accords consensuels.
Pour ma part, comme je suis dans ma periode Lambic j'experimente beaucoup avec ça, et c'est énorme avec la cuisine thai, la complementarité se joue avec le citronné, puis l'acidité permet de nettoyer le piquant.
Avec du vindaloo indien on a une complementarité plus grande car l'acidité du vinaigre rejoint celle de la gueuze
Recemment j'ai fait l'experience d'un contraste interessant, en partant sur un barbecue d'épaule de porc à l'américaine, c'est a dire cuit a temperature basse et légerement fumé, arrosé d'une sauce vinaigre+piment:
Et bien j'avais lu que la bas ils boivent du thé froid sucré avec, moi j'ai opté pour une Chimay bleue et le résultat était à tomber par terre, l'opposition sucré-vinaigre, la texture du porc qui cuit au dela de 190°F devient fondante avec celle de la chimay qui pèse en bouche, le fumé du porc avec le grillé du malt, bref un grand moment!
Ben c'est malin, Séb, j'ai la dalle, maintenant ! ;o)
Juste un truc: l'acidité déblaie aussi bien le piquant avec un lambic plat qu'avec une gueuze bien effervescente ?
La dernière fois que j'ai expérimenté avec le piment et l'acidité, au Massimo del Gelato à Milan, avec d'un côté glace chocolat noir-chili qui arrache, de l'autre leur sorbet citron hyper-acide, c'était à la limite du masochisme : tu attaques le chocolat... velouté, puis le piment pointe, mord... tu envoies le citron... hmmm, ça soulage du piment, mais l'acidité s'attaque à son tour au papilles, donc on renvoie du chocolat velouté, qui calme, jusqu'à ce que remonte le piment, et ainsi de suite... 'ai du envoyer une glace au yogourt nature par-dessus pour couper... ;o)
Le piquant est bien mieux balayé avec la Gueuze qu'avec le Lambic, car effectivement l'effervescence aide beaucoup, j'ai parlé de Lambic en tant que type de bière de fermentation spontanée mais en fait c'est bien avec de la Gueuze qu'arrivent les meilleurs résultats avec du thai ou de l'indien.
Le Lambic est plus subtil, il permet de bien trancher dans le gras des poissons "gras" justement sans masquer la saveur du poisson, ou alors avec des fromages de chèvre ou encore des tripes ou "gras double"
En fait la Gueuze marche bien en opposition au piquant et en harmonie avec vinaigre et citron, le Lambic tranche bien dans le gras, et s'harmonise aussi avec citron, vinaigre et amertume (chicons, salade avec rouquette (rucola en suisse) etc...)
Enfin, après tout dépend des gouts de chacun évidemment, ici je parle pour moi!
Excellentissime ton article Laurent !!!
ça donne bigrment envie d'essayer !
A l'instar des vins blancs, j'ai trouvé de bons accords entre bières amères style IPA et certains fromages. Egalment très apprécié, Saison Dupont sur un saumon au four, fondu de poireaux et tagliatelles.
Top bon tout ça, la vie est belle !
La saison Dupont est une bière d'une polyvaence asset ahurissante, soit dit en passant... il n'y a guère que les trucs franchement acides qui ne collent pas avec... mais ma combinaison préfèrée avec elle, c'est un fromage de chèvre pas trop fait...
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